Ce n’est pas la première fois que ce journaliste fait la Une de l’actualité politique. Il est pourtant rare de lire sa prose dans les colonnes des journaux, car il consacre presque exclusivement le compte-rendu de ses enquêtes à la maison Fayard, qui n’a pas de souci pour faire la promotion de ses livres… Qu’on en juge !

Une jeunesse française : François Mitterrand, 1934-1947, paru en 1994, a bouleversé le sommet du pouvoir mitterrandien après qu’il a été ébranlé aux élections législative l’année précédente. Le locataire de l’Élysée est apparu sous un jour nouveau, qui n’était plus celui de l’homme de gauche, ancien résistant, socialiste emblématique ! La Face cachée du Monde : du contre-pouvoir aux abus de pouvoir n’a pas été publié par les éditions Fayard, mais par une de ses filiales…

Écrit en collaboration avec Philippe Cohen, qui a bien voulu nous faire part de ses impressions sur son camarade, l’ouvrage a sonné le glas pour la direction du quotidien de référence : si Pierre Péan était un animal, ce serait sans doute un renard ! Mais ce journaliste hors normes n’a pas écrit que des pamphlets : c’est un homme d’archives, il a publié plusieurs livres d’histoire locales autour de sa Vendée natale et de ses ancêtres. C’est ainsi qu’il a fait paraître Secret d’État : la France du secret, les secrets de la France en 1986, un ouvrage de référence qui fait le point sur l’organisation des services et des procédures secrètes à la fin du siècle précédent.

À propos de son livre Noires Fureurs, blancs Menteurs : Rwanda, 1990-1994, Pierre Péan livre à L’Express une des clés de son travail : il est normal d’éclairer l’autre face de la pièce. Jamais, dans aucun écrit, je n’ai prétendu à l’objectivité. Mieux, je revendique ma subjectivité. Pour Philippe Cohen, qui l’a bien fréquenté quelques années plus tôt, c’est ce contraste — entre la promesse d’un journalisme indépendant et les pratiques réelles dans le cas du Monde, entre le discours humanitaire et les pratiques du consultant Kouchner dans le cas du Monde — qui crée la force de ses enquêtes.

S’il est rare de découvrir le fruit de ses enquêtes dans les journaux, c’est que Pierre Péan met du temps à les réaliser, ce qui ne correspond pas au rythme imposé par l’information telle qu’elle est traitée à l’heure actuelle : c’est du journalisme patient, rigoureux, comme on ne le pratique plus guère dans la presse, déclare Philippe Cohen, qui sait bien de quoi il parle, puisqu’il dirige la rédaction de l’hebdomadaire Vendredi après avoir travaillé pour Le Monde et Marianne.

Sur la méthode : Pierre Péan part en général sur une piste, qu’il cherche à valider par des documents. À cette étape, il ne s’intéresse pas beaucoup aux déclarations de la personne sur laquelle il enquête, ce n’est qu’ensuite qu’il confronte les documents trouvés au discours tenu, reconnaît-il. C’est sans doute la raison pour laquelle Bernard Kouchner s’est trouvé marri de ne pas avoir été contacté par le journaliste alors qu’il enquêtait sur ses affaires étranges…

Mais comment Pierre Péan, auteur par ailleurs du Chirac, l’Inconnu de l’Élysée en 2007, qui a fait sourire la plupart des hommes et des femmes de Gauche, peut-il subitement devenir un fanatique de l’ultra-gauche ? C’est un catho de gauche très sensible à la morale, affirme Philippe Cohen. Et c’est vrai que l’enquête de Pierre Péan sur Bernard Kouchner cherche avant tout à mettre en contradiction l’homme politique avec sa pratique des affaires… Il le reconnaît lui-même, il n’y a rien d’illégal dans les activités de conseil du ministre des Affaires étrangères à l’étranger, juste un incroyable mélange des genres !

Pierre Péan, Le monde selon K., éditions Fayard, Prix public TTC : 19,00 €