Au minitel la patrie reconnaissante

Au minitel la patrie reconnaissante

Pour ceux qui n’auraient pas lu la presse en juillet 2008 (la nouvelle fut annoncée à ce moment-là), sachez que nous entrons dans le dernier mois où fonctionne l’annuaire par minitel (le 3611) que France Télécom a décidé de supprimer en mars prochain, faute de connexions suffisantes.

À cette occasion Le Monde cette semaine faisait le bilan de la saga de cet objet qui fut, avec le TGV et les centrales nucléaires une des dernières gloires de l’Etat « colbertiste » français, un terminal électronique à la fois increvable et inusable que beaucoup de PME encore de nos jours utilisent pour passer leurs commandes. Dans ce dernier hommage à cette gloire nationale, Le Monde n’oublie pas de saluer le 3615 Ulla qui ne compte plus « que » 30 000 visites par mois (contre 500 000 en 1990), un chiffre qui ferait tout de même pâlir d’envie bien des blogueurs… On l’ignore parfois (et ça Le Monde ne le dit pas) mais Ulla fut la riche marraine d’une partie de la gauche alternative française, puisqu’elle a permis à Michel Sitbon de financer des structures contestataires utiles au débat public comme les éditions L’Esprit frappeur, ou le Réseau Voltaire (avant sa brouille avec Thierry Meyssan).

Cette évocation me rappelait le temps où, étudiant fauché, j’allais taper 3615 sur le minitel public de Beaubourg. Puis, un peu plus tard, la magie de ces rencontres faites « à l’aveugle » avec des femmes avec qui on avait passé la soirée à s’écrire et à lâcher la bride sur le cou de ses fantasmes les plus fous. Je pourrais vous en raconter de belles (et avec moi des milliers de personnes je pense) sur ce passage compliqué de l’écriture au contact physique, qui avait lieu généralement à la table d’un café, mais pas seulement. Sur cette dame quadragénaire si peu appétissante qui était pourtant venue avec une chemise déboutonnée jusqu’au nombril, et cette fille de 25 ans à qui j’avais lancé le défi de venir me rencontrer nue en peignoir à Beaugrenelle au volant de sa voiture et qui l’avait fait. Sur cette autre qui, la première fois, est venue directement dans mon appartement sans m’avoir vu, dans l’obscurité, yeux bandés, afin que se prolonge jusque dans le contact tactile l’envoûtement du dialogue sans image, le « dialogue des âmes » comme on disait.

Il y avait une sorte de pureté dans cet alignement de mots blancs sur fond noir, sans la possibilité de se transmettre des photos ni de brancher une webcam, et, du même coup, le charme du premier coup de fil, de l’échange des voix, qui faisait suite à l’écriture. Cette ré-incarnation progressive des mots, c’était de la théologie appliquée.

La semaine dernière, on apprenait, dans Le Dauphiné Libéré, qu’une gamine de 15 ans avait échappé de peu à un odieux chantage sur Internet. Un type qui dialoguait avec elle dans un chat, après avoir obtenu son numéro de téléphone portable menaçait de le divulguer si elle ne se mettait pas à poil devant sa webcam. La fille n’a pu sauver sa pudeur qu’en appelant discrètement les gendarmes tout en continuant de chatter. Le maître chanteur risque 5 ans de prison. Voilà bien le genre de mésaventure que le minitel ne permettait pas.

Il est des moments où la libido se prend à verser dans la nostalgie…