La "Révolution des montagnes" de Frédéric Delorca

La "Révolution des montagnes" de Frédéric Delorca

Dans les années 2000 Frédéric Delorca s’est fait connaître sur le Net et dans les milieux anti-guerre par ses sites d’information alternative et des essais politiques comme l’Atlas alternatif (publié aux éditions du Temps des cerises en 2006). En ce début d’année, il se lance dans l’art du roman… Une tentative réussie…

Le sociologue Stéphane Fulgaran s’ennuie dans son centre de recherche parisien. Mais son passé fait irruption dans la médiocrité de son quotidien, à la faveur de retrouvailles avec un vieil ami. Plus que le passé, c’est aussi le vécu de cet ami qui l’interpelle, notamment son engagement politique au service de l’indépendance de l’Occitanie. Fulgaran va réorienter cette cause dans un sens très personnel : provoquer une révolution dans sa province natale, le Béarn. Le soutien d’une actrice de film X va lui permettre de réaliser son programme au-delà de ses espérances.

Comme toujours en matière de fiction, le résumé du début de l’intrigue ne dit pratiquement rien du livre. La force de l’ouvrage c’est de nous faire très vite entrer dans une histoire et dans un univers qui à la fois n’ont rien à voir avec le réel (on sort définitivement de la tentation autobiographique) et cependant lui ressemblent comme deux gouttes d’eaux. Tout y est vérifiable, tout y est vrai. Les processus affectifs et politiques se déploient avec une logique implacable. En refermant le livre, on ne peut que conclure : « Oui, ça s’est vraiment passé comme ça ».

Le sortilège romanesque fonctionne en grande partie parce qu’il n’y a pas de manichéisme. La position de chaque personnage (Fulgaran, son ami de jeunesse, l’actrice du prono et bien d’autres) est livrée pour elle-même ; elle évolue dans diverses interactions, mais, au final, nul ne peut dire qui a raison ni qui a tort : chacun a simplement suivi le sens de son action. A diverses étapes, chacun des personnages, effrayé par les conséquences de son initiative, faute de pouvoir revenir en arrière, cède à la tentation de la fuite en avant, dans des directions qui peuvent être contradictoires suivant les inclinations des uns et des autres. Ceux qui semblent en tirer profit sont les pouvoirs en place (les Etats-Unis, le gouvernement français et ses alliés pyrénéens), mais eux-mêmes s’empêtrent dans leurs propres contradictions. En outre, la seconde partie du livre recèle une surprise qui fait sortir du politique d’une manière très astucieuse, et qui est en parfaite concordance avec une interrogation fondamentale de notre époque.

On devine que Delorca a dû mûrir longtemps cet ouvrage pour livrer un récit avec une maîtrise si parfaite. Une réflexion profonde sur les rapports humains et les enjeux de pouvoir se dessine derrière cette histoire. Une de ses qualités majeures est de la laisser entrevoir sans jamais verser dans le didactisme. On est de ce point de vue là loin des lourdeurs d’un Milan Kundera par exemple. Pour une première tentative, l’essai est transformé, comme diraient les rugbymen. On souhaiterait même que l’auteur écrive une suite à ce livre.

Frédéric Delorca, La Révolution des montagnes, Editions du Cygne, coll. Roman francophone, janvier 2009, 134 p., 15 euros