Les Enfants perdus d’Arnaud Rykner

Les <i>Enfants perdus</i> d'Arnaud Rykner

Quand une crise d’adolescence verse dans la quête initiatique et que les réponses semblent impossibles à acquérir, la mer et son horizon infini peuvent ouvrir une voie. Faut-il encore désirer la suivre …

Les grandes vacances arrivent, et la maison du bord de l’océan va accueillir une vague d’enfants venus passer l’été. Les adultes sont accaparés par la réouverture de cette maisonnée qui ne sert que le temps des vacances. Alors chaque geste est précis, chaque acte possède sa signification. Le décor dépeint l’ambiance qui va être perçue dès la première ligne.
Courtes, précises, rythmées, les phrases d’Arnaud Rykner (qui avait laissé une si forte impression lors de son précédent opus, repris à l’été 2008 en poche chez Babel : Nur était aussi un enchantement des sens). Et l’on retrouve ici l’affirmation de ce ton unique dans un récit figé dans une époque et qui bascule, tous les étés, dans cet éternel recommencement …
Donc, chaque année les enfants se retrouvent, les clans se reforment, les jeux recommencent, les balades sur la digue, les courses dans les dunes, les jeux dans la brume …
Et comme chaque année, le premier enfant de l’été arrive un peu avant les autres, mais sa différence ne s’inscrit pas seulement dans cet emploi du temps particulier.

Il en est un, en effet, qui s’impose dans sa solitude, soit perché au sommet de son arbre, invisible depuis le sol, protégé par l’épais feuillage ; soit enfermé dans le grenier, à l’abri des regards, épiant les bruits des autres enfants, ceux qui le cherchent, ceux qui l’ont oublié, ceux qui s’en fichent …
Et surgissent alors les questions liées au corps qui mue, à la voix qui change, au sel qui brûle le sang. Il se sent embarrassé et ne comprend pas ce qui lui arrive, alors il s’enferme encore plus dans le silence. La violence sourde tente de l’emporter mais il parvient à se contrôler. Pendant combien de temps ? Et le cercle vicieux l’emportera …
Dehors les enfants jouent, dans cette colonie un peu particulière, ils jouent aussi à mourir sur ces plages du débarquement qui en a tant vu il n’y a pas si longtemps. Et sur cette plage-là, en contrebas de la maisonnée, traînent encore des engins de mort. Justement.

Poétiquement emporté, le style de ce récit marque en profondeur le souvenir et laisse une petite voix danser dans votre oreille alors que la lecture est finie. Comme si le roman voulait vous accompagner dans votre quotidien, histoire de vous rappeler l’essentiel, ces petits détails que l’on oublie, foudroyés que nous sommes par le tourbillon de la vie matérielle et sociale.
Nostalgique d’une époque qui recèle bien plus d’importance que l’on voudrait lui en accorder, car elle inscrit les soixante à quatre-vingt années à venir, la sortie de l’adolescence cache parfois des douleurs insondables qui ne trouvent la paix que dans le drame. Dans cette porte qui ouvre un ailleurs où l’on pourrait s’y sentir moins seul ; mais qui le sait avec certitude ?

Arnaud Rykner, Enfants perdus, coll. "la brune", Editions du Rouergue, janvier 2009, 93 p. – 10,00 €