GAZA… UN SECOND SABRA ET CHATILA ?

GAZA… UN SECOND SABRA ET CHATILA ?

Tant dis que l’armée israélienne poursuit en toute impunité sa politique de blocus, de destruction de biens matériels et de massacres des Gazaouis. Tandis que l’inhumanité de l’Etat d’Israël a atteint les limites de l’entendement humain. Tandis que la communauté internationale demeure indifférente et insensible à la souffrance d’enfants, de femmes et d’hommes blessés dans le plus profond de leur être. Traumatisé(e)s ! Meurtri(e)s ! Assassiné(e)s ! Pour la énième fois ! Tant dis que la Mémoire humaine s’enlise dans les sables mouvants de l’oubli, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée à Wassim, Abderrahmane, Oum Mariam, Abou Hicham, Wissam et tous ces réfugié( é)s palestinien (ne)s qui survivent dans les camps de Sabra et Chatila, deux quartiers situés dans la périphérie sud de la ville de Beyrouth au Liban , où les 16 et 17 septembre 1982, pendant plus de 48 heures, les membres de la milice phalangiste ont perpétré des massacres contre les civils.

Sabra et Chatila. Deux lieux-symbole. Deux lieux-refuge où sont entassé(e)s et confiné(e)s depuis 1948, l’année de la Nakba, des hommes, des femmes et des enfants qui attendent inlassablement le retour dans leur mère patrie, la Palestine. Mais encore ?

Sabra et Chatila, deux noms qui résonnent dans ma tête. Martèlements. Oui. Je me souviens. Comment oublier ? Comment effacer de la mémoire pareille violence ? Sauvagerie, indifférence, impunité sont les mots qui s’affalent sur le bout de ma langue. Et voici que ma mémoire entre en transe. Un véritable charivari. Des images douloureuses, rouge sang… Des mots incompréhensibles. Des visages en pleurs. Des cris. Des mémoires en sang. Des souvenirs en feu. Des sens en proie au désordre, à la folie. Oh mémoire ! Échapper aux réminiscences douloureuses, suffocantes et encombrantes. Arrêter le bruit infernal des balles des assassins sur des corps privés du droit à la vie. Malgré mes invocations incessantes de l’oubli, de l’effacement de cette douleur qui étreint mon cœur et qui éveille en moi une obscure et profonde tristesse, retour en arrière. Arrêt sur images. La scène me propulse vingt six années en arrière, dans un espace et une temporalité à la fois lointains et proches. Familiers et étranges. Absents et présents.

Septembre 1982. Béjaia, ma ville natale, ville-lumière, ville-merveille où l’Histoire a gravé ses traces sur les murs de ses ruelles ombrageuses. Une soirée en famille face à l’écran de télévision.

Septembre 1982. Au Liban, des hommes des milices chrétiennes libanaises encerclent et attaquent Sabra et Chatila. Leur mot d’ordre « Jeunes et vieux, pas de pitié ».

Le choc ! Oui. Le choc. devant des corps de femmes, d’enfants et d’hommes gisant à même le sol. Assassinés. Calcinés. Eparpillés. Criblés de balles. Défigurés. Abandonnés sans prière (Jean Genet). L’hécatombe. Oh folie meurtrière ! Oh folie humaine ! Impuissance devant ce flot d’images, face à ce décor où la désolation règne suprême, où l’odeur d’existence sans vie empeste l’espace. Rêve ou réalité ? Difficile à croire en l’existence d’une telle cruauté.

Le lendemain des massacres, au milieu de ce décor qui échappe à tout entendement humain, Jean Genet, qui à cette période se trouvait à Beyrouth se rendit à Chatila. Qu’a-t-il trouvé ? Un « spectacle » qui mène droit à la folie. Sans arrêt. Sans escale. Il est le seul européen sur les lieux, le seul non Palestinien à dire. Son témoignage est on ne peut plus poignant et saisissant : Sans doute j’étais seul, je veux dire le seul Européen avec quelques vieilles femmes palestiniennes s’accrochant encore à un chiffon blanc, déchiré, avec
ces quelques feddayin sans armes,
écrit-il. Puis comme s’il cherchait à se convaincre, il poursuit : Mais si ces cinq ou six êtres humains n’avaient pas été là et que j’aie découvert cette ville abattue, les Palestiniens horizontaux, noirs et gonflés, je serais devenu fou. Et, le cœur et l’esprit submergés par un sentiment de doute, il interroge encore et encore : Ou l’ai-je été ? Cette ville en miettes, et par terre que j’ai vu ou cru voir, parcourue, soulevée, portée par la puissante odeur de la mort, tout cela avait-il eu lieu ?(Quatre heures à chatila)

Tout comme Jean Genet, un sentiment de scepticisme et d’horreur semble sourdre des confins des oublis humains. Un profond sentiment d’incompréhension, d’indignation, de révolte et d‘impuissance face à ce cauchemar qui ne cesse de se vivre et de se reproduire hélàs avec acharnement et inhumanité sur le peuple palestinien. Une situation éminemment injuste et révoltante.

Un peuple chassé de sa terre. Des femmes, des hommes et des enfants contraint (e)s à l’errance sur les routes d’une existence incertaine dégageant l’odeur nauséabonde de la mort qui rôde et qui guette inlassablement. Des êtres humains déplacé(e)s, déclassé(e)s, devenu(e)s par la force des événements, des êtres sans terre, sans attaches, sans repères, dépossédés de leurs biens, de leur intimité, de leur humanité, n’ayant pour unique issue que le refuge dans des souvenirs ancrés au plus profond de leur mémoire qui se nourrit génération après génération de l’espoir d’un recommencement. La mémoire devient ainsi une demeure. Un lieu-symbole. Un lieu-refuge. Le lieu du souvenir. Le foyer, ce centre du monde (S. Laacher) où s’entassent des images qui luttent contre l’oubli, l’effacement, la disparition, l’inexistence guettant sans cesse l’éclosion de la promesse d’une vie renouvelée dans un présent qui se vit en suspens et qui ne se conçoit qu’en sursis.