Bernard Madoff pourrait plaider non coupable

Bernard Madoff pourrait plaider non coupable

L’escroc de haut vol aurait arnaqué l’ensemble de la finance mondiale, c’est un peu facile… Le cabinet de conseil aux actionnaires Deminor va porter plainte contre les banques suisses UBS et Hyposwiss, et contre la britannique HSBC, pour leur rôle dans l’affaire Madoff, une annonce qui soulève bien des questions sur le rôle exact des établissements financiers qui se sont déclarés victimes dans la banqueroute de la société d’investissement de l’ancien patron du NASDAQ.

Depuis l’arrestation, puis l’assignation à résidence de Bernard Madoff, ni l’accusé ni la justice américaine ne se sont exprimés, laissant libre cours aux commentateurs de tout poil pour gloser sur la perversité de l’ignoble bonhomme, et un peu aussi — dès que les convictions idéologiques l’exigent —, sur l’immaturité d’un système économique sans entrave. On a beau jeu de faire de Bernard Madoff un Pr Moriarty démoniaque et omniscient, prompt à rouler dans la farine les banquiers les plus retors et les plus puissants de la planète !

Le suicide de Thierry Magon de La Villehuchet, suivi par ceux de l’industriel allemand Adolf Merckle et de l’entrepreneur américain Steeve Good lundi ont donné lieu à des manifestations de compassion ou d’effroi au sujet de la dureté du monde des affaires, sans soulever la moindre question sur les motivations de ces hommes acculés à la dernière extrémité. En ce qui concerne Thierry de La Villehuchet, le geste qu’il a commis est vraisemblablement en liaison directe avec l’affaire Madoff, mais cette relation est uniquement attestée par ses proches.

Le fondateur d’Access International n’a pas laissé de lettre avant de se donner la mort, à moins qu’on l’ait soustraite à la curiosité du public. Il travaillait en étroite relation avec Bernard Madoff, et se rendait fréquemment dans les bureaux de Bernard L. Madoff Investments Securities LLC, à qui l’homme d’affaires français avait confié beaucoup d’argent. Ses proches affirment qu’il ne savait rien des malversations de Bernard Madoff, et qu’il avait toute confiance en lui… Est-ce crédible ?

On peut tromper quelqu’un tout le temps, et tout le monde une fois ; on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps, affirme l’adage populaire. Les plaintes, qui seront déposées d’ici la fin du mois auprès des tribunaux compétents au Luxembourg et en Irlande par le cabinet Deminor, visent également les commissaires aux comptes d’UBS et de HSBC, soit respectivement Ernst and Young et PricewaterhouseCoopers. La responsabilité des banques dépositaires, qui ont placé, directement ou non, l’argent de leurs clients chez Bernard Madoff est engagée, affirme Fabrice Remon, le responsable de Deminor France, et parle de fautes.

C’est aussi l’avis de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) du Luxembourg qui, dans un communiqué publié début janvier, a rappelé que la banque dépositaire doit savoir à tout moment de quelle façon les actifs du fonds d’investissement sont investis et où et comment ces actifs sont disponibles. Elle ajoute que cette responsabilité n’est pas affectée par le fait de confier à un tiers tout ou partie des actifs d’un fonds dont il a la garde. UBS avait transféré, quelques jours avant l’éclatement du scandale Madoff, la gestion de son fonds LuxAlpha à Access International, dont l’animateur, Thierry de La Villehuchet, s’est donné la mort avant Noël.

Les gazettes financières s’interrogent à présent sur la réalité des éléments de la fraude imputée à Bernard Madoff. Selon le rapport du 11 décembre 2008 de l’agent spécial du FBI Theodore Cacioppi, Bernard Madoff, pressé de trouver 7 milliards de dollars, aurait déclaré à ses principaux collaborateurs — ses enfants en réalité — que son affaire n’était selon le FBI, qu’un gros mensonge, une pyramide à la Ponzi, qu’il payait les intérêts des investisseurs avec le capital fourni par d’autres et qu’il estimait les pertes à 50 milliards de dollars. Il aurait réitéré ses aveux le lendemain en présence du FBI, qui note par ailleurs que, selon un rapport remis en janvier 2008 aux autorités boursières américaines, la SEC, les Madoff avait 17 milliards de dollars sous gestion à cette date.

Près d’un mois plus tard, les rouages de l’affaire restent obscurs, et pour l’économiste Philippe Brossard, il s’en dégage une impression troublante, propre au paradoxe du menteur. Celui qui dit "je suis un menteur" espère être cru, alors qu’il nous avertit de ne pas le croire, écrit-il dans le quotidien économique La Tribune, avant de se demander si Madoff a-t-il menti dans le passé à ses clients et délibérément pratiqué un système à la Ponzi depuis les années 1960  ? Ou bien ment-il aujourd’hui, en présentant une interprétation délirante d’une perte presque totale des actifs gérés, fruit d’une gestion hasardeuse, mais banale à Wall Street en décembre 2008 ?

Philippe Brossard s’étonne également du volume d’affaires brassé par Bernard L. Madoff Investments Securities LLC, et de la multiplicité de ses activités : le groupe Madoff frappe par sa productivité et par la variété de ses activités. Avec une poignée d’employés, il gérait des dizaines de milliards de dollars. Quel modèle pour l’industrie financière  ! Et il exerçait cinq métiers différents, qui devraient tous être séparés pour des raisons de probité  : trading, trading pour compte propre, conseil, gestion de fonds, conservation de titres. Gageons qu’il devait aussi faire un peu crédit, entre amis, à ses heures perdues. Une véritable banque universelle à l’européenne à lui tout seul !

Alors que le Parquet de New-York a demandé l’emprisonnement de Bernard Madoff, parce qu’il représente un danger pour la communauté, les charges à son encontre apparaissent de moins en moins patentes. Il lui reproche d’avoir envoyé des objets de valeur, une montre, des bijoux quelques espèces à son frère, à ses fils, et à un couple en Floride. Bigre ! Il est juste que cette initiative est en infraction avec sa liberté sous caution, mais de là à représenter un danger pour la société…

Bernard Madoff ne s’est pas exprimé publiquement sur l’escroquerie pour laquelle il est inculpé, mais il y a fort à parier que sa ligne de défense, compte tenu des éléments actuellement à charge, est susceptible d’en épater plus d’un. En se plaçant de lui-même sous main de justice, il s’est mis à l’abri de la vindicte populaire, et assigné à résidence, a eu tout le loisir de liquider discrètement des avoirs moins fictifs que ceux qu’il rétribuait à des taux défiant toute concurrence… Pendant que ses clients se rongent les sangs, Bernard Madoff apparaîtrait dans la salle d’audience en coupable innocent !

 

 


Les gens n’ont pas idée, et ils n’ont rien compris
Au marché des valeurs si souple en son essence,
Ils vont juger un homme impropre à l’innocence
En fonction des remords dont ils sont tous épris !

S’ils vont lancer sur lui l’opprobre et leur mépris,
C’est pour mieux faire usage avec plus de licence
De biens qu’ils n’ont jamais acquis sans réticence
Tout en faisant de même et sans être un jour pris.

C’est trop horrible aussi d’être un bouc émissaire,
Et ce doigt qui vous montre à tous tel un corsaire
N’est pas la main de la justice, il n’est pour rien…

Mis à l’index pour prendre un petit pion d’avance,
C’est le sort qu’on réserve à l’aube au vrai saurien
Pour ce qu’il a de mieux dans sa stricte observance.

 


Avec AFP, Reuters, Pif-Gadget et Le Journal de Tintin.