Metz-Marseille, ou le syndrome du footchéball

Metz-Marseille, ou le syndrome du footchéball

Hier soir, une fois n’est pas coutume, je suis allé me geler les pieds au stade Saint-Symphorien de Metz, qui accueillait la belle affiche que voilà, le match footchéball Metz-Marseille.

Situé idéalement dans la tribune Est, au premier rang de l’espace Moselle, à côté des grilles de séparation des tribunes visiteurs où des hordes de supporters marseillais, certains torses nu, chantaient la bonne mère de leur équipe. En contrebas, deux jeunes avec un hygiaphone, hurlaient comme deux tauliers de bateau esclavagiste : « Allez les gars, plus fort, on vous entend pas, on n’entend que les marseillais !

Alllez, merde, putain, ils sont les messins ? Allez messins, allez messins, allez messins ! » ou encore « si t’es fier d’être messin tape dans tes mains, si t’es fier d’être messin tape dans tes mains, tap tap tap ». But du jeu : pouvoir refaire le matche le lendemain matin, au café, la voix rauque, éraillée, sur fond de… « putain t’as vu l’ambiance qu’on leur a mis ». Devant moi, juste devant moi, deux cerbères de la sécurité, un blanc, un noir, gesticulant du cou, bonnets, veste d’agent de la sécu bleue. En cours de matche, arrivée d’une espèce de matrone à cheveux noirs et visage autoritaire : « Et, les gars, vous n’êtes pas là pour regarder le matche, vous êtes là pour surveiller. Ordre du patron » Et sur le ton de la remontrance : « Si t’es pas content, tu pars. Ordre du patron. » Ambiance pure chauffe garantie.

Scène 1 : Première mi-temps, but pour Metz de Bruno Rodriguez. Pas vu à cause de la pause pipi et puis j’accompagnais un jeune diabétique qui devait se faire sa dextro et une piqûre d’insuline dans les chiottes sans lumières, à côté des longues pissotières sous les gradins. Retour sous des tonnerres d’applaudissements. « Ouais ! hourra ! Allez Metz ! » La deuxième mi-temps venait de partir sur les chapeaux de roue. Plus tard : entrée de l’international Steve Marlet, grande classe, à l’aise, contrôle impeccable, mystification de l’adversaire, jonglage, sombrero, accélération, puissance. Aux buts, Barthez. En pointe Drogba. En face, une équipe de Metz qui tourne bien, fait circuler le ballon, motivée, fougueuse, avec Dié, Morisot, Allegro, Rodriguez, Maoulida.

Scène 2 : La balle est dans la main du jeun gardien messin, Ludovic Butelle. Le marseillais Drogba place un coup d’esbroufe à l’ancienne en faisant de grands signes avec la main dans le genre, eh, goal, vas-y, envoie-moi la balle, je suis avec toi… Flash ! Coup de stress ? Ludovic Butelle dégage à la main directement dans ses pieds. A ce stade de la compétition, même en Ligue 1, l’erreur se paie cash… passement de jambes et but ! Le gardien messin se prend la tête dans les mains… Le stade gronde. Le matche continue. Bonnes envolées. Matche agréable. Dernier quart d’heure stérile. Résultat : score final, UN partout.
Le stade se vide comme une baudruche, avec lenteur, comme un sablier géant où les grains de sable sont des hommes et des femmes.
Mais le matche n’est pas fini. Amorce de baston à l’entrée du vestiaire et gardes du corps qui arrivent au pas de charge pour escorter Barthez et les autres marseillais, puis séparer le début d’escarmouche entre joueurs. LE FOOTBALL EST UN SPORT DE COMBAT. Les boules de neige voltigent d’une tribune à une autre. Fin de matche, fin de règne de la concorde du spectacle et chant romain : « Messins, messins, on t’encule ! Messins, messins, on t’encule ! » Doigts d’honneur ! Insultes : « Bâtard ! Enculé ! » Règne de l’inventivité aussi ! Et du théâtre : un supporter marseillais passé maître dans l’art du mime simule une pipe avec ses mains et fait gonfler sa joue avec sa langue, puis il fait signe aux supporters messins, viens, viens derrière le stade que je te branle et que je te nique. Coup de sang dans les tribunes messines ! Le supporter messin n’est pas pédé et il sait se battre, alors il le montre ! Début de bagarre dans les rangs des supporters messins, entre deux groupe, des jeunes arabes et des jeunes blancos habillés en hardos.
Venir au stade, c’est venir en découdre avec l’imbécillité de quelques sauvages qui s’expriment avec les mains, qui n’ont de culture que celle de l’insulte et de la provocation.

Assister à un match de football relève alors autant du happening que du cinéma, de la bagarre du samedi soir que spectacle de catch. Metz a beaucoup à apprendre de Marseille, et Marseille a sans doute à apprendre de Metz. En dehors comme sur le terrain. Malheureusement, le football n’est que rarement une terre d’échange culturel ! Mais, il arrive qu’un matche décolle, que les 22 joueurs soient pris de lévitation, qu’ils partent dans une envolée digne de Shaolin soccers, et qu’un matche soit gagné par un Manchester United survolté, qui claque deux but en cinq minutes, lors d’une finale de Ligue des champions, au grand dam d’un Bayern de Munich dépité. Chiqué, provocations, coups d’éclat, suspense, religiosité, acteurs sur scène, communion, acteurs dans les tribunes, LE FOOTBALL EST LE THEATRE DES POPULATIONS..