LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE…

 LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE…

Ecrivain islandais, né à Reykjavik en 1954, Einar Mar Gudmundsson est
connu pour sa dizaine de romans et ses sept recueils de poèmes. Après « 
Les Chevaliers de l’escalier rond » (1985), son premier roman, paru
chez Gaïa en 2007, la maison d’édition spécialisée dans les
littératures nordiques vient de publier l’excellent Testament des
gouttes de pluie…

L’étrange histoire du roman LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE se
déroule dans la banlieue de Reykjavik. Ombres passagères, jouets des
caprices de la Nature, les personnages insignifiants (?) de cette
fresque au parfum de fjords et de flatkökur (1) évoluent dans un
théâtre de la quotidienneté au décor plutôt pluvieux. Il y a là un
coiffeur casanier, un gardien du Jardin des plantes tournant en rond,
un sellier sans âge, captivant par ses contes les pêcheurs du coin lors
de banquets arrosés, un pasteur tourmenté, possédé par sa mission
éducative. Il y a aussi des écoliers, des oiseaux géants, des sirènes,
des bateaux-fantômes…

Gudmundsson a une jolie formule pour exprimer son tempérament
littéraire. Il tente d’examiner ce que « la réalité recèle de magique
en même temps que la part de la réalité que la magie recèle ». Parfois,
l’on songe à la lecture du TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE au réalisme
magique de certains auteurs d’Amérique latine. Mine de rien, l’auteur
nous bluffe par une méticuleuse description d’une petite ville
islandaise avec son école, son église, son salon de coiffure, son asile
psychiatrique, ses pêcheurs et ses notables. L’auteur semble gentiment
se moquer de tout ce beau monde en lui prêtant certains traits
islandais.

Le style évocateur de Gudmundsson, par sa verve gargantuesque, nous
plonge dans un climat à la fois naïf, comique et magique, lorgnant vers
les rivages - en apparence paisibles - de la fable et du conte. Parfois
une touche « enfantine » et une tonalité anarchiste à la Roald Dahl
viennent colorer ce curieux TESTAMENT. D’autres fois, c’est un univers
fantastique, jubilatoire et inquiétant qui surgit comme ici :
[…] « Quelqu’un voit des anges planer sur leurs ailes noir corbeau et
d’immémoriaux oiseaux de mauvais augure avec des têtes de trolls
viennent visiter les rêves des enfants qui sommeillent, blottis dans
leurs lits et innocents dans les grands immeubles […]

La première phrase du TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE crépite ainsi :
« Au moment où le tonnerre et les éclairs explosent au-dessus de la
ville obscure blottie dans le soir, on dirait que dans les airs
retentit un concert d’innombrables instruments électriques. »
Le panthéisme aux relents sensuels et mystiques de Gudmundsson se fond
dans la symbolique de l’eau. Et l’on songe à « La Cloche d’Islande »
(1943), célèbre roman de l’Islandais Halldor Laxness :
« Il ne faut qu’à peine 10 minutes – à travers la lande qui embaume le
thym sauvage et les bourgeons des bouleaux arctiques – pour arriver au
sommet de la colline où on entend déjà le sourd martèlement de l’eau
sur les colonnes de basalte noir. La cascade, d’une beauté incroyable,
se jette avec grâce du haut d’une falaise noire […]

Dans son pénétrant roman, Gudmundsson nous suggère l’éternelle - et
improbable - combinaison de l’immobilité, celle d’une petite ville
pétrifiée par la routine et peuplée d’habitants solitaires et du
mouvement, celui d’une nature indomptable.
Mer, nuages, pluie, éclairs, tempête…Triomphe de la Nature, emportant
tout. « Ils errent entre les maisons autour de la nuit ; autour de la
mort, des gouttes de la pluie et de la nuit. », écrit Gudmundsson
évoquant les marins.

« Au-dessus de la ville obscure et blottie dans le soir, on n’entend
plus rien dans l’air, plus rien que le flic-flac des gouttes de pluie
cristallines. », nous chuchote à l’oreille le romancier, fin
observateur du pays des terres glacées et volcaniques.


(1) épaisses galettes de farine sans levure cuites à même la plaque, on
les consomme souvent avec les plats typiquement islandais comme le
hangikjot, mouton fumé [note du traducteur]

LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE

Roman d’Einar Mar Gudmundsson, traduit de l’islandais par Eric Boury,
éditions Gaïa, collection « Catalogue général », 249 pages, 2008. Prix
 : 21 euros