Une femme occidentale au début du XXIe siècle

Une femme occidentale au début du XXIe siècle

Une rencontre. Une nuit. On avait fait l’amour. Mais l’important, ce n’était pas le sexe. L’extase sexuelle, la première fois, c’est de la science fiction. Les corps doivent apprendre à se connaître avant de pouvoir s’envoler haut ensemble.

Les jeux s’approchent avant de se toucher, les pudeurs s’apprivoisent d’abord. Cette nuit-là, l’important, c’était la tendresse.

Nous n’étions pas amoureux. Nous ne connaissions rien de nos vies respectives ni si nous allions nous revoir mais la question n’était pas là. Il n’y avait pas de question. Il n’y avait rien d’autre que cet immédiat sans passé ni projet jeté dans le parcours de notre présent, tel quel, en l’état. Lui, je ne sais pas. Moi je sais. Moi j’étais triste ce soir-là. C’était une sale période. Une de celles où nul ne peut me toucher. Ni mon homme ni un autre. Car j’ai un homme déjà, depuis longtemps, nous avons un enfant et nous sommes formidables. Mais c’est une autre histoire.

Je suis chaude et je ne m’en cache pas. Je veux dire d’habitude. Cette nuit-là avec cet homme-là n’avait pas agité de fièvres délicieusement pornographiques ni fait valser de rêves rouges cylindriques sous mes paupières où jute la jouissance d’être prise. Point un : je répète, il faut un peu de temps pour atteindre cela, celui de savoir si nos corps s’aimeront, ces premières fois à répétition qui font que plus on fait l’amour avec quelqu’un et plus on a envie de faire l’amour avec lui. D’autant que la première fois, il faut se fader ces quelques centimètres de plastique, cette capote détestable qui ne sera abandonnée, généralement assez vite, qu’une fois les certitudes de sécurité mutuelle acquises, suivant l’envie avérée de se connaître mieux et plus fort. Point deux : je l’ai déjà dit mais je le redis, je n’étais pas dans cet état d’esprit-là. J’avais besoin de bras pour me serrer, de mains pour caresser ma peau, d’une poitrine pour m’endormir tout contre, m’y abandonner comme dans un havre où tout peut s’oublier. J’avais seulement besoin d’un autre corps pour me dire : tu existes et tu es belle. Rien de plus. J’étais dispo pour rien ou juste pour ça. Et il me l’a donné. Nous ne nous sommes jamais revus. C’était bien ainsi.

J’ai trente ans et je cherche encore ma vie à travers toutes mes vies. Il y a celle avec mon homme. Lui c’est mon frère, mon meilleur ami, ma famille, mon confident. Ma tête n’est pas en forme et a fermé mon corps, et toi tu ne peux rien pour l’instant. Il comprend. Il respecte. Nous étions si jeunes lorsque nous nous sommes connus, trop sans doute… Lui aussi se cherche. Pour cela, nous sommes pionniers, marginaux, bizarres, tout ce que vous voulez mais dix millions de fois plus sains que la plupart des couples qui s’adultèrent et se mentent au nom d’un kendiraton vieux, douloureux et complètement déphasé, quand il ne s’agit pas de cette possessivité encouragée par la tradition et sublimée par l’amour-propre d’un tout un chacun que le désaccord entre nature et mœurs a usé de frustration amoureuse et sexuelle au fil d’années de vie commune.

Mes autres vies, ce sont mes amitiés, autant d’apprentissages, de tempêtes et de mers douces sur la folie des jours qu’on brûle ou qu’on sirote… Je me fiche de la rumeur. Nous ne sommes jamais, tous autant que nous sommes, que des paquets de minéraux et d’eau agglomérés dans un pourcentage minutieux et bien ordonné par une Nature qui, quoiqu’en disent les apprentis sorciers, nous dépasse. La conscience ? Le Soi personnel inné ? L’irremplaçabilité de l’être ? Cela, je ne sais pas de quelle énergie c’est fabriqué. Personne ne le sait.

J’aimerais avoir encore un enfant ou deux. Mais aujourd’hui n’est pas hier et cette autre maturité qui m’étreint aspire à sa quête d’absolu. Je crois que, si la vie me mettait en face de ce complément que je n’ai, jusqu’ici, jamais trouvé vraiment, d’un homme qui… c’est cela, si la vie me disait, regarde, ton rêve n’est pas un rêve, il existe, il est là, eh bien… oui… je suivrais le mouvement. La même chose pour mon compagnon. En douceur… même si ce n’est qu’un si.

Mais si, encore si, après avoir traversé victorieux le sol à trappes qui aurait mené à ce rendez-vous improbable, le diable s’en mêlait ? Il n’y a pas de malentendu, il n’y a que des malentendants, écrivait je ne sais plus qui. Se pourrait-il que l’on passe à côté de sa vraie vie, juste parce que…

Je me fiche de la rumeur. Je suis chaude mais je ne suis pas une infidèle. Aimer a des milliards de visages. Je suis une femme. Rien qu’une femme occidentale au début du XXIe siècle.