Allez voir l’avant-garde russe de la collection Costakis

Allez voir l'avant-garde russe de la collection Costakis

Présentée – jusqu’au 2 mars 2009 – dans cet écrin qu’est le Musée Maillol, rue de Grenelle, dans le Septième arrondissement de Paris, cette exposition est d’un grand intérêt car elle offre au public d’approcher des toiles d’une grande beauté, appartenant à une période essentielle dans l’histoire de l’art. A manquer sous aucun prétexte.

Tout aurait pu débuter – et finir – par le seul souvenir de Kasimir Malévitch (dont Le Littéraire vous présenta par le passé l’extraordinaire monographie publiée chez Thalia) qui parraine, en quelque sorte cette extraordinaire exposition avec un portrait de 1910, réalisé à la gouache et à l’huile sur carton, clin d’œil à Gauguin. Mais l’avant-garde russe c’est bien autre chose …
Longtemps considérés comme les parents pauvres de l’histoire de l’art, les arts plastiques russes furent oubliés par l’Occident. Jusqu’au jour où des historiens ont mis en lumière l’ampleur du mouvement pictural russe du premier quart du XXe siècle. La Russie s’est alors révélée un lieu d’art aussi original et aussi universel que celui qui avait vu fleurir la peinture d’icônes du XVe au XVIIe siècle.

La notion d’avant-garde est aussi ancienne que l’histoire des sociétés, mais le mot n’a pris la résonance que nous lui connaissons dans l’évolution des arts qu’au XXe siècle, sans doute sous l’influence du vocabulaire politique marxiste qui l’a lui-même emprunté au vocabulaire militaire. Mais si le mot paraît nouveau, la réalité qu’il désigne a toujours existé. L’avant-garde artistique est un moment crucial dans l’évolution des arts, quand les formes figées éclatent sous les coups de boutoir des formes nouvelles. L’avant-garde est le combat du dynamisme contre la résistance des données statiques, un combat inauguré au début du XXe siècle par Marinetti et les futuristes italiens.

Le mouvement russe n’a été véritablement découvert et porté à la connaissance du public que dans les années 1970 avec l’exposition Paris/Moscou, organisée au Centre Pompidou, en 1979, qui est restée dans les mémoires et a joué un rôle de révélateur. L’avant-garde russe a donc été redécouverte en France sensiblement au même moment que le Bauhaus, qui en était le pendant et le descendant (sous une forme plus académique), à une période marquée par le structuralisme.

L’avant-garde russe en général, le suprématisme et le constructivisme en particulier, ont avant tout été perçus d’un point de vue théorique, étayé par des manifestes, des proclamations et des mots d’ordre, comme une sorte de mise en scène et en images de l’utopie révolutionnaire, comme une préfiguration et une visualisation de la société communiste utopique à venir. Bien qu’il s’agisse là d’un aspect essentiel et intrinsèque au mouvement constructiviste, l’aspect sensible des œuvres et la diversité des sources d’inspiration des artistes sont passés au second plan.
Seuls quelques grands noms ayant valeur emblématique ont été retenus, Kasimir Malévitch, bien sûr, le prophète inspiré, ou encore Rodtchenko, Tatline … tandis que des noms comme Alexandra Exter, Klioune ou Popova émergeaient tout juste dans leur sillage … puis plus rien. Quelle injustice !

La collection Costakis constitue un véritable conservatoire qui a permis de renouveler le regard sur l’art russe du premier tiers du XXe siècle. Cet ensemble d’une richesse unique n’a été réuni ni par un historien, ni par un milliardaire mais par un amateur éclairé et un autodidacte de génie. Il a assemblé patiemment sa collection avec des moyens modestes, au gré de rencontres avec les artistes ou leurs héritiers, de façon totalement empirique mais avec la ferveur et la ténacité d’un missionnaire.
Costakis s’inscrit dans la lignée de Buffon, Lamarck ou Darwin ; et si sa collection est incomplète elle compte néanmoins un grand nombre d’œuvres surprenantes et introuvables dans les grands musées occidentaux. Elle est riche de cette diversité et de cette vivacité des collections privées qui font si souvent défaut aux grandes institutions publiques.

Ne vous privez pas de ce plaisir et de cette découverte extraordinaire : vous y verrez des porcelaines de Souétine, et des tableaux magnifiques signés Morgounov, Tchachnik, Rodtchenko (dont le Rythme expressif, une immense gouache de plus de 170 cm de large, peinte entre 1943 et 1944, n’est pas sans évoquer la fameuse technique mise au point par Pollock, le drop painting), et à qui l’on doit la couverture du superbe catalogue édité pour l’occasion, Klioune, Redko, Ender, Popova, Nikritine … avec un absent de marque, Kandinsky : étrange car La Place Rouge était l’un des tableaux préférés de Costakis. Il avait réussi à acquérir des petites œuvres du maître mais elles lui furent volées dans des circonstances particulières que seule l’ex Russie soviétique était capable d’inventer …

Collectif, Vers de nouveaux rivages – L’avant-garde russe dans la collection Costakis, du Musée national d’art contemporain, Thessalonique, relié avec couverture couleur à rabats, 230 x 285, plus de 90 reproductions en couleur, Fondation Dina Vierny – Musée Maillol/Gallimard, novembre 2008, 225 p. – 35,00 €