Au Havre, la droite attise la lutte des classes

Au Havre, la droite attise la lutte des classes

En annonçant coup sur coup des hausses pour les tarifs de stationnement ainsi que pour les impôts locaux et fonciers, Antoine Rufenacht provoque une colère générale au Havre. De quoi, pour de bon, aller « vivre ailleurs » comme le suggère une stupéfiante et coûteuse campagne nationale de communication.

Chaud, chaud, chaud, l’hiver havrais sera-t-il chaud ? La municipalité dirigée par Antoine Rufenacht, UMP, vient d’allumer une mèche en annonçant une augmentation des tarifs de stationnement en centre ville pour le 1er janvier 2009. Actuellement, le stationnement en zone verte coûte 1 euro pour la demi-journée et 2 euros pour la journée complète. Le tarif sera doublé. Le compteur des parcmètres s’arrêtait à 17 heures. Il ira jusqu’à 18h30. Pour couronner le tout, le stationnement en zone verte, gratuit le samedi, deviendra payant. La zone orange, plus chère, n’est pas épargnée par les augmentations. Dans l’avenir, vertes ou oranges, les zones payantes menacent de s’étendre avec la vélocité d’un pet sur une toile cirée...

En ces temps de serrage de ceinture, autant dire que cette décision équivaut à une déclaration de guerre sociale. De quoi réveiller le collectif antiracket (CAR), syndicats, partis et associations qui dénoncent ces mesures exaspérantes pour le moral des ménages. Par peur de voir leurs clients s’évader vers les grandes surfaces environnantes, même les commerçants du centre ville fulminent. Ce coup de fièvre sur les horodateurs est un scandale qui s’ajoute à celui du parking payant de l’hôpital Jacques-Monod. Comme si c’était un luxe ou un plaisir d’aller se faire soigner ou de rendre visite à des personnes hospitalisées !

Pour justifier l’augmentation aberrante des tarifs de stationnement, Antoine Rufenacht parle de « développement durable ». C’est du foutage de gueule intégral. Nous sommes un certain nombre à avoir envie de mettre à la casse ces saloperies de bagnoles ruineuses qui puent et qui rendent cons. On le fera avec plaisir dès que les « décideurs » oseront mettre en place un vrai réseau de pistes cyclables et un véritable service public de transports en commun (à bas prix ou même gratuit) pour toute l’agglomération havraise, y compris dans la zone industrielle. Aux grands maux (urgences économiques et écologiques), les grands remèdes.

Une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule. Le 24 novembre, lors d’une séance tumultueuse, le conseil municipal du Havre a bâclé en quelques minutes le débat d’orientation budgétaire qui prévoit également une augmentation des impôts locaux et fonciers. À croire que les élus de droite ont envie d’en découdre avec les Havrais d’en bas. Ces derniers (personnel hospitalier, enseignants et parents d’élèves…) étaient un certain nombre à manifester dans la salle du conseil avec sifflets, drapeaux et banderoles. Ce qui provoqua une suspension de séance. Pour le maire, ces protestations sont anti-démocratiques ! Ben voyons. On va sans doute nous dire que c’est encore un coup des obscures forces radicales ultra-anarcho-autonomes...

Dans le même temps, la ville du Havre a trouvé trois petits millions d’euros pour se payer une giga campagne publicitaire. Ça s’appelle jevisailleurs.com et ça va nous prendre le chou un bon moment et dans pas mal d’endroits, via Internet, les télés, la presse, les réseaux d’affichage… Par chance, la pub va sévir sur des chaînes que je ne regarde pas (TF1, France2, M6, Canal+, BFM, I Télé, Sport+, Info sport…) et dans des magazines que je ne lis pas (Le Figaro Magazine, Le Point, Challenge, L’Expansion, Enjeux, Management, L’Usine nouvelle... et même Air&Cosmos…). Des cibles choisies « pour toucher les leaders d’opinions » expliquent les concepteurs d’une campagne qui conviendrait mieux à la promo d’un parc d’attraction qu’à une commune.

Le plan de roulement des spots de vingt et trente secondes est renversant. Une première fournée a été calée entre novembre 2008 et janvier 2009. Une deuxième couche est prévue entre décembre 2009 et février 2010. Attention aux yeux et aux oreilles ! Dans un univers qui évoquerait plutôt la féerie d’un Disneyland miniature en carton-pâte, avec une musique qui oscille entre le fond sonore du tirage du Loto et une mélodie pour ascenseur, on découvre une ville improbable. Un parti pris hallucinant aux antipodes du réel. Voici les objectifs de cette campagne qui distille des messages supposés « imaginatifs, audacieux et évocateurs » : « projeter une image positive, étonnante et attractive », « offrir une vision renouvelée de ce territoire aux chefs d’entreprises », « séduire les cadres et cadres supérieurs, techniciens, commerciaux, ingénieurs, etc. et leur famille ».

Le Havre ville positive ? Yes ! L’hôpital (dont le conseil d’administration est présidé par Antoine Rufenacht) va supprimer 550 emplois alors que la population n’est pas au top de la forme (record national du taux de cancers et de surmortalité). Le Havre ville étonnante ? Yes ! Malgré une pollution omniprésente (pétrochimie, centrale thermique EDF...), les fameux décideurs économiques évoquent la possibilité de construire deux nouvelles centrales au charbon. Le Havre ville attractive ? Yes ! Pour doper un taux de chômage déjà dans le rouge, 1150 emplois sont menacés chez Renault-Sandouville et le sort de 4000 sous-traitants est dans la balance. Après ça, Il faut un sacré toupet pour oser dire que « Le Havre est un Ailleurs, un lieu unique et incomparable, au carrefour des mondes, là où se créent de nouvelles perspectives et de nouvelles opportunités ».

Ainsi, Antoine Rufenacht et ses amis vivent « Ailleurs ». Ils ont bien de la chance. Il est vrai que monsieur le maire est largement au-dessus de la mêlée des gueux que nous sommes. En prime, il vient de vendre son entreprise, la société Armor (150 millions d’euros de chiffre d’affaires), basée à Nantes. Ça lui donnera un léger bonus pour glisser ses piécettes dans les parcmètres. En revanche, nous, nous vivons bien au cœur du Havre, les deux narines vrillées par les odeurs industrielles, les deux pieds scotchés dans les crottes de chien. Une campagne de pub, aussi dispendieuse soit-elle, ne nous empêchera pas d’appeler les choses par leur nom. Dans cet esprit, saluons au passage le blog qui milite contre la fermeture de l’école Anatole-France à la Mare-Rouge. On y voit un détournement sympathique. Le baratin ridicule du spot TV de jevisailleurs.com accompagne des images de la vraie ville, celle qui manifeste contre tous les coups tordus. Humour noir garanti.

Le projet de loi Boutin sur le logement social est redouté par l’ensemble des familles modestes, des chômeurs, des retraités. À toutes les difficultés attendues en Sarkozie, vont donc s’ajouter au Havre les augmentations des impôts locaux et des tarifs de stationnement. La droite « décomplexée » aime visiblement jouer avec le feu. Sait-elle que l’accumulation des injustices, grandes et petites, peut provoquer désespoir et colère ? Bref, la prochaine séance du conseil municipal du Havre, le lundi 22 décembre, s’annonce encore mouvementée...