DOC GYNECO : Plaidoyer pour un Prince noir

DOC GYNECO : Plaidoyer pour un Prince noir

Bruno Beausir, le bien nommé, est un prince noir, un cador, un virtuose du flow qui dépasse largement les limites du Rap car il préfèrera toujours être classé dans la variét’. Son royaume est riche, son règne sera beau et fertile, et il mérite d’être couronné par le succès, pour de longues années encore. Hypochondriaque ou bien fanatique de la blouse blanche, que son personnage médiatique vous amuse ou vous dérange, passez sans plus hésiter, la porte de son cabinet feutré, regardez en-dessous de son masque d’expert et laissez-vous toucher par ses jolis instruments et son bel organe vocal, long et doux. N’ayez pas peur du Docteur !

Bruno est un poète, son stéthoscope sonde notre société, ses mots soulagent tous les souffles aux cœurs gros ou abandonnés. Beausir inspire le respect, il aime les femmes, toutes les meufs même les salopes ou les pétasses (taspées) ; l’ex-pensionnaire du secteur A n’est pas sectaire. Depuis que sa Première consultation a dépassé le million d’album vendus, le Doc’, qui refuse désormais l’alias, est un garçon du 18 ème qui compte bon et beaucoup dans la cité du disque, qui « pèse » mais sans être dans le 16ème. Outre cet aspect commercial, Bruno a un talent insolent et nonchalant, qui mène sa plume et sa bobine avec désinvolture dans la hip-hop culture, il sait caresser son patient avec douceur, même si ce n’est pas toujours dans le sens du poil.

Ecouter un album de celui dont le père et la mère « sont nés là-bas » en terre guadeloupéenne et qui lui, est né ici, à Clichy, « dans la misère et les cris », est un exercice jubilatoire. Du premier au deuxième et dernier album Quality Street, on suce avec délice les bonbons musicaux colorés et tendres, drôles et provocateurs de cet ex-membre plus amer du ministère du même nom. « Comme Beregovoy et plus vite que Senna », il n’est pas très loin le temps où il voulait « rejoindre le Nirvana », alors pour oublier les problèmes, il fume de l’herbe qui fait rigoler, et son apparente frivolité masque à peine un vrai humanisme, un vrai regard sensible, délicat et pertinent sur le monde.

Ce deuxième album est un électrochoc émotionnel. S’éloignant un peu plus des rivages âpres de ces premières amours, notre homme à la peau chocolat, groove et textes somptueux dans la poche de son survêtement, signe une merveille de maîtrise et de maturité. Revenu de tout, des embrouilles, des jalousies, du succès, des critiques acerbes de Joey Starr, il retrouve une innocence et une vulnérabilité perdues, et il prêche une "cool attitude" qui n’interdit pas le combat de corps. Ses textes, épurés et poétiques, ont acquis une intensité et une qualité à ce jour jamais égalée dans la scène rap française.

Sur Caramel, qui était le premier single de cette grosse boîte surprise de notre enfance, le refrain est un bijou de rap tendre et romantique "j’ai attrapé la couleur caramel, passe moi des feuilles et une Camel pour mélanger, pour faire tourner la planète terre sous le soleil vert".

Titre après titre, son flow est assuré, mesuré, implacable, son propos est respectueux, un rien flatteur mais jamais démago (Respect aux parents, aux sportifs, aux étudiants/ Ma rue était sale et je crevais la dalle/ Des heures entières dans l’escalier/ lever son cul pour appuyer sur la minuterie/ Respect à tous sauf aux te-traî / jouer au rebelle rue de la Chapelle/ Mais obligé d’faire la vaisselle/ Respect à tous ceux qui la ferment/ me faire pas dire dans les faits divers / Overdose de sales histoires). Sur ce titre, la précision chirurgicale de Gynéco n’a presque rien à envier à un Miossec ou à un Houellebecq, il parle de la rue, du quotidien et il en parle divinement bien, avec une certaine nostalgie et une volonté farouche de ne rien éluder, une belle lucidité créative.

Bruno est bien dans son arrondissement, bien dans son siècle, il témoigne pour nous.
Ce sociologue de la banlieue clame sans cesse sa liberté en menant sa barque sans chavirer, en rendant un hommage sincère à Vanessa Paradis, à Gainsbourg, à Dutronc ou à la génération télé des années 80.
Celui qui jadis a choisi la gynécologue avec le module « Chanson », car c’est "le seul homme que toutes les femmes ont en commun", semble s’être libéré de ses démons. Il a un vrai capital sympathie, une télégénie évidente qui lui fait faire des chroniques cinéma admirablement bien écrites le vendredi soir dans l’émission de Marc Olivier Fogiel « On ne peut pas plaire à tout le monde » ; ce qui nous fait dire que Bruno n’a pas fini de nous étonner. « Est ce que ça le fait ? » Whais (bis) Bruno, allez continue, t’es dans la Place !