"Nous ne considérions pas Mesrine comme l’ennemi public n°1"

"Nous ne considérions pas Mesrine comme l'ennemi public n°1"

La traque de Jacques Mesrine, après son évasion de la prison de la Santé, a donné lieu à un épisode de la guerre des polices mis en lumière par le film de Jean-François Richet L’Ennemi public n°1, comme par tous les ouvrages ayant trait au personnage. Sans doute est-ce pour cette raison que sa cavale a duré si longtemps, qu’elle a été tellement commentée, que son épilogue a été si tragique. Pour le journal Le MAGue, un ancien gendarme témoigne sous le couvert de l’anonymat des évènements qu’il a vécus sous l’uniforme :

1. Vous avez participé à la traque de l’ennemi public n°1 au sein des forces de l’ordre, vos collègues et vous-même vous sentiez-vous motivés par cette chasse à l’homme ?

Je ne connaissais pas les états d’âme profonds de mes collègues, certains se mentaient à eux-mêmes en prétendant ne pas faire de cadeaux à Jacques Mesrine. Je crois qu’il n’en aurait pas fait aux forces de l’ordre, car il venait de s’en prendre à Jacques Tillier, le journaliste de Minute, et n’avait certainement pas l’intention de tomber dans les mailles du Plan Épervier tendu sur tout le département de l’Oise, et même aux régions limitrophes. Entre le moment où Tillier est sorti d’une grotte de Creil et jusqu’à celui où nous avons été réquisitionnés, Mesrine a eu le temps de rentrer à Paris en passant par la forêt de Compiègne, qu’il connaissait comme sa poche pour y avoir tenu un restaurant quelques années auparavant. En ce qui me concerne, je n’étais pas du tout motivé par cette chasse à l’homme, comme vous dites… car je n’ai jamais pris Mesrine pour un gibier ! S’il était passé par mon barrage, je crois qu’il nous aurait tiré dessus, mais c’est un risque que personnellement, j’avais complètement intégré en entrant dans la Gendarmerie. Comme lui, j’avais une arme, je savais que je pouvais tuer ou être tué. Quand on chasse, on peut aussi devenir le gibier. Nous avions, face à nous, un homme déterminé à ne pas se laisser reprendre vivant, et qui ne voulait pas retourner en prison.

2. Quelle était l’ambiance à l’époque, et comment se manifestaient le comportement de vos collègues et les instructions de votre hiérarchie pour hâter l’arrestation de Jacques Mesrine ?

Du côté de la Gendarmerie, l’ambiance était tendue, car le gouvernement de l’époque mettait la pression sur toutes les forces de l’ordre. Notre mission était claire : il fallait arrêter Mesrine sans le tuer. Tous les gendarmes que je connaissais, à part un ou deux illuminés, étaient d’accord pour respecter la vie d’un bandit si nous n’étions pas mis en danger immédiat. On parle d’une guerre entre les services de Police et de Gendarmerie, parce que chacun avait des renseignements et ne les donnait pas à l’autre, éventuellement pour tirer gloire de l’arrestation de l’ennemi public n°1. Mais la vraie guerre des services n’a pas eu lieu chez nous, elle est issue des magouilles entre Lucien Aimé-Blanc et Jacques Tillier qui est un ancien de la DST. Ces deux personnages travaillaient ensemble, car Aimé-Blanc voulait arrêter Mesrine avant Broussard. Personnellement j’aurais bien voulu que Lucien Aimé-Blanc arrête Mesrine, car son objectif n’était pas de le tuer. Lucien Aimé Blanc est un grand flic, tout le monde le savait à l’époque, comme on savait que Broussard et ses hommes étaient des shérifs. C’est l’affaire Tillier qui a fait accélérer les choses, ainsi que les soupçons d’enlèvement politique qui pesaient sur Mesrine, connu par ailleurs pour ses liaisons avec les anarchistes.

3. Aviez-vous l’impression que tous les moyens pour appréhender Jacques Mesrine et sa bande ont été mis en oeuvre à l’époque ?

Absolument pas ! Et c’était même le désespoir du président Giscard d’Estaing. Il voulait que tout soit fait, et je dis bien tout, pour l’arrêter. Jacques Mesrine n’avait pas de bande, juste quelques relations des QHS et quelques amitiés de prison. Il ne faisait confiance à personne, sauf à François Besse qui l’accompagnait depuis l’évasion de la Santé. Il n’y avait aucune coordination entre les services concernés, ce qui a bénéficié à Mesrine… Il devait se marrer doucement face à tant de laxisme policier !

4. La presse a souvent titré en parlant à son propos de l’ennemi public n°1, s’agissait-il de la réalité dans vos missions ou d’un effet sensationnel ?

Je ne me souviens pas que nous considérions, nous autres gendarmes, Mesrine comme l’ennemi public n°1. Il était certes un ennemi potentiel pour nous, mais pas pour le citoyen moyen. Il s’agit d’un terme employé par la presse et repris par les politiques. Il a été abattu par la Police et je dis bien abattu… parce qu’un qu’un tireur d’élite aurait pu l’immobiliser par un tir dans le bras. En ce qui concerne le prétendu sac de grenades, je peux vous dire que c’est une belle connerie ! Broussard prétendait que Mesrine sortait toujours avec un sac de grenades… Il avait en effet toujours sur lui une sacoche, qu’il portait en bandouillère, et qui contenait plusieurs armes de poing. Des grenades n’ont pas été rajoutées, elles sont une légende pour justifier toute l’opération mise au point par Broussard. S’il était supposé que ce sac pouvait contenir des grenades, aucun des policiers n’aurait tiré comme ils l’ont fait, n’importe comment, au risque de se faire sauter la gueule eux-mêmes, et celle des automobilistes ou des piétons qui passaient par-là… Aucun d’eux ne s’est précipité sur le sac ensuite ! Aucune sommation n’a été faite, et l’ordre était de stopper Jacques Mesrine net avant qu’il ne prenne le périphérique et l’autoroute, car tout le monde savait qu’il allait sortir de France. C’est une véritable exécution, décidée par l’État.

 

 


C’est la raison d’État qui bien souvent commande
Aux faits parfois les plus noirs et les plus confus,
S’ils sont ensuite enfouis dans un brouillard diffus,
Le peuple est bien conduit à tromper sa demande !


Un pouvoir n’a pas lieu de se mettre à l’amende…
La mort dans l’âme, il nous oppose un long refus
Tandis que ses secrets font des buissons touffus ;
Mais la soif de savoir est aussi plus gourmande !


Sans doute, un jour vient un moment de vérité
Alors que tout est calme, un ouragan en plein été
Déverse un flot de haine à l’endroit des ministres.


Quand la rancune est bien plus forte, et les sujets
De peine ont moins de mal à se montrer sinistres,
Le pouvoir tombe, et avec lui, ses beaux projets…