Pourquoi Simone de Beauvoir a-t-elle caché sa bisexualité ?

Pourquoi Simone de Beauvoir a-t-elle caché sa bisexualité ?

En cette année de centenaire de sa naissance, nous en savons plus sur la vie de Simone de Beauvoir. Plus que ce qu’elle a bien voulu confier à ses lecteurs dans ses Mémoires. Jusqu’à la fin de ses jours, elle a refusé de dévoiler sa bisexualité. A la lecture de ses lettres intimes, le doute n’est plus permis. Jeune femme, elle était déjà amoureuse en secret de son amie Zaza. Sa première vraie liaison lesbienne aura lieu avec Olga Kosakievicz, une de ses élèves, qui sera suivie d’une autre avec Bianca Bienenfeld, puis avec Nathalie Sorokine, autres élèves. Pour en rester là.

Pourquoi ce secret ? Simone de Beauvoir était pourtant de taille à affronter une opinion dressée contre elle. Bien que n’ayant jamais eu d’avortement, elle a prêté son prestige à cette cause, et ne l’a paradoxalement pas apporté à celle des lesbiennes.

Certes, les invertis devaient se cacher pour échapper aux quolibets, Simone de Beauvoir comme ses conquêtes. Comment ne pas l’admettre ? Et il ne faut pas en minorer le poids. Mais cet argument est manifestement insuffisant.

Simone de Beauvoir avait voué sa vie à la philosophie existentialiste, qui exige une recherche d’authenticité, de transparence. Il y a fort à parier que ce secret recèle des raisons philosophiques, car il remet en cause le fondement du Deuxième Sexe, qu’elle a génialement résumé par cette formule : « On ne naît pas femme : on le devient. »

Dans cet essai, elle affirme que la féminité n’est qu’une réaction secondaire à une situation. Ce n’est que lorsque la femme n’est pas indépendante, n’est que l’Autre de l’homme, qu’elle se transforme en coquette, vénale, passive, immanente dans le temps qui passe, qu’elle se soumet aux idées de l’homme et à ses désirs… Ce n’est que cette situation impérieuse qui transforme les petites filles en femmes féminines, sous la pression des parents et de la société. Cette réaction secondaire est donc le fruit d’une éducation, et, au grand jamais, ne peut être innée, naturelle. Cette thèse est le fondement du Deuxième Sexe, qu’elle ne remettra jamais en cause. C’est là tout le problème, comme si l’un devait exclure l’autre : comme si une femme (ou un humain) ne pouvait être le fruit à la fois d’un caractère inné et d’une construction par l’éducation.

Dans le mouvement féministe, elle s’opposera farouchement aux féministes qui revendiqueront l’égalité des sexes « dans la différence ». Depuis, le temps a passé, et il semble bien que les filles des féministes beauvoiriennes prennent des libertés face au dogmatisme de Simone de Beauvoir.

La relecture de ses Mémoires laisse apparaître une tendance très masculine dans le caractère indomptable de Simone de Beauvoir qu’elle a toujours revendiqué. Et le moins que l’on puisse dire est que ce caractère trempé était naturel… sa famille catholique traditionaliste ayant tout tenté pour l’éduquer dans les bonnes manières féminines de son époque. Sa sœur Poupette se révèlera docile, coquette et féminine, alors que vers les vingt ans de Simone, son père maugréait : « Simone est un homme ! ». Son éducation traditionaliste a été inopérante contre ses propres tendances innées, et c’est sans doute ce qu’elle ne pouvait mettre en avant sans ruiner sa thèse du tout éducatif, de l’absence de facteur naturel dans la construction d’une femme, plus largement d’un individu.

Simone de Beauvoir, une femme méconnue (Dorval Editions, octobre 2008)