Exposition David Seidner à Paris, jusqu’au 1er février 2009

Exposition <i>David Seidner</i> à Paris, jusqu'au 1er février 2009

Ne manquez sous aucun prétexte l’expo qu’abrite la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, au 5 de l’avenue Marceau, à Paris XVI.

Cette exposition se veut un hommage, une reconnaissance, envers David Seidner, trop tôt disparu (1999) et qui aura su forger son identité en puisant dans l’histoire de l’art une dimension universelle, et dans l’art contemporain la substance de son être. Alors, si l’on évoque la mémoire comme partie prenante d’un courant artistique, l’œuvre de Seidner doit en être partie prenante.
Mémoire des artistes qu’il inscrit dans le platine, tels des bustes classiques et/ou des icônes intemporelles de notre histoire. Il a été un passeur qui a inventorié la forme, remettant en question la position que nous lui conférons, en lui agrégeant une certaine gravité … Ainsi, la chair des nus, académiques, dépouillés de tout artifice, piqués dans le contraste du noir et du blanc, illustre sa recherche des effets produits lorsque l’on maltraite la matière pour lui conférer une aura. L’art pictural dans la photographie, l’essence humaine dans la pose. Et le tout consacré dans une œuvre d’une rare élégance.

Tout débuta en 1978, dans une impasse de la rue des Bourdonnais, avec une première exposition qui, déjà, présentait les séquences de corps morcelés, les polyptyques de ces visages inoubliables, les démembrements calculés au millimètre … Coup de tonnerre !
Il faut avouer qu’il avait des pairs tout aussi insolents que lui, de Cindy Sherman à Karen Knorr, sans oublier les simulacres sexuels d’un jeune photographe déjà sulfureux (et que David fit poser), Robert Mapplethorpe.
C’était un contexte prometteur, à n’en pas douter. Insatiable voyageur intellectuel, cet américain à Paris, né à L.A. et porteur de l’exotique culture de l’ouest (zen et macrobiotique), affichait néanmoins une sophistication plus extrême que celle du plus jamesien des esthètes. Un paradoxe sur deux jambes, cet homme-là.

Et son œuvre à son image : adepte de la philosophie de l’aléa, de l’ouverture et de l’attente cette œuvre fera son lit du hasard … Mais pas seulement ! ne vous fiez pas à cette neutralité attentive car sa méticulosité était obsessionnelle : il voulait tout contrôler dans ce panel des innombrables paramètres à l’œuvre dans une prise de vue. Justement, ces grands portraits, avec cette frontalité mangée d’ombre – sa signature – ne doivent rien au hasard ! Il faut un dispositif rigide, une pose patiente, une immobilité absolue, une source de lumière unique …
De même, la suite des Nudes découle d’un travail millimétré suivant le modèle du contrapposto du grand Léonard, avec cette prise d’appui du pied droit qui déhanche gracieusement le modèle, placé seul, sans accessoire, sur un fond noir, dans une seule lumière qui découpe les reliefs ... Un clin d’œil qui démontre son attirance pour le jeu des références, l’appel à la mémoire et au trésor des formes tels que les ont façonnés des siècles de tradition picturale en Europe.

C’est dans cette humilité que Seidner a toujours évolué allant jusqu’à privilégier des décors simples, des accessoires primitifs (fils de fer, bris de miroir, etc.) pour réussir l’alchimie parfaite avec son approche intellectuelle. Puis, côté technique, il s’attaquait au rendu en stratifiant ses Ektachrome, en surimprimant ses négatifs voire en interposant des plaques de verre peintes entre l’objectif et le sujet. Pour David Seidner, shooter était devenu une performance !
Dans cette spirale qui l’obséda, il poussa ses recherches jusqu’à devenir lui-même son sujet d’expérimentation : avec ses autoportraits nus, il se statufia. Mémoire derechef, inlassablement façonnée pour que le processus prenne sens et que le perfection s’incarne.

A la netteté des corps ciselés dans le N&B s’oppose, dans l’ultime séquence, laissée inachevée par son décès brutal, au flou coloré des orchidées : certaines sont lisibles, d’autres sont réduites à de simples taches de couleur, formant des compositions abstraites.
Il faut s’y arrêter : nous sommes ici face à une perfection dans le hors-point, une approche systématique du tremblement qui incarne la traduction d’une tentative de restituer le spectre d’un regard diminué par la maladie … Poussant le raisonnement à terme, et trop affaibli pour supporter les contraintes de la prise de vue telle qu’il la concevait en studio, David Seidner osa se servir … d’un jetable. Plus de contrôle sur rien : il a ainsi pu tenter de faire surgir l’impalpable et de rejouer sa passion du hasard et de l’aléa. Ce tremblement est donc celui du présent, saisi dans son mouvement, son incessant changement … et tirées sur un papier brillant, ces photos offrent une ultime exaltation de la couleur et de la vie.

Cette exposition le démontre très bien – tout comme ce très beau catalogue – : des portraits fragmentés de jeunesse aux Orchidées, vulnérables et irréductibles, à son image, d’une certaine manière, naît, s’accomplit et disparaît sa quête impossible en une beauté magnifiée de mille manières … Seules perdurent alors la sensualité et la lumière, ses deux compères qui l’on accompagné toute sa vie durant …

Patrick Mauriès, David Seidner, préface de Pierre Bergé, coll. "Le Cabinet des lettrés", 200 x 250, 100 photographies couleurs et N&B, Le Promeneur/Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, octobre 2008, 128 p. – 25,00 €