Les effets du Code de la famille en France : Les cas de la « répudiation judiciaire » et de la polygamie

Les effets du Code de la famille en France : Les cas de la « répudiation judiciaire » et de la polygamie

Le droit international privé français, c’est-à-dire l’ensemble des règles internes françaises qui traitent des règles de droit étrangères applicables aux populations immigrées vivant sur le territoire français privilégie la loi du pays d’origine en matière de statut personnel.

C’est en effet en vertu de l’article 3 du Code civil français qui stipule que « les lois concernant l’état et la capacité des Français, régissent les Français, même ceux résidant à l’étranger » que les étrangers se retrouvent, du fait de leur rattachement à leur nationalité « d’origine », soumis de droit au statut personnel en vigueur dans leur pays d’origine.

Ce principe de réciprocité crée très souvent, en France, des situations de conflits de lois et de cultures notamment lorsqu’il s’agit du droit des personnes et des familles dont la configuration sociale et juridique se caractérise par le privilège de masculinité, confinant les femmes, en raison de leur appartenance au sexe féminin, dans un statut de minorité opprimée, les assignant dans une "identité de procuration", dépouillées ainsi d’une capacité juridique et d’une individualité propre.

Ainsi, ces situations conflictuelles mettent en lumière l’existence de différences et de contradictions en matière de règles juridiques, de valeurs sociales et culturelles entre les lois qui régissent l’état et la capacité des populations étrangères vivant en terre d’immigration et les règles du droit français basé sur la notion d’égalité entre les hommes et les femmes.

E. Rude-Antoine, juriste de droit international privé et sociologue, explique qu’« en matière de conflits de droits et de cultures, c’est principalement à propos de la femme et de l’enfant que les dispositions en vigueur dans certains codes heurtent le plus le système de valeurs de la société française ».

En effet, ces règles de conflit bilatérales donnent lieu dans des domaines précis à « des situations boîteuses, c’est-à-dire des situations appréciées d’une manière différente d’un pays à un autre, valables dans l’un, nulles dans l’autre »

Aussi, pour limiter les effets qui découlent de certains aspects du Code de la famille, document social et juridique promulgué en 1984 par une Assemblée nationale composée majoritairement d’hommes, la juridiction française applique la conception « procédurale de l’ordre public ». Le but étant d’écarter la loi du pays d’origine pour appliquer les règles de l’ordre juridique français.

Le cas de la répudiation « judiciaire »

Les aspects découlant du Code de la famille qui tire ses origines de la culture coutumière et droit Canon islamique (Fiqh) et qui semblent poser problème en France, en raison essentiellement de leur incompatibilité avec la juridiction française et qui peuvent faire l’objet d’éviction par le juge français concernent principalement la procédure de « répudiation judiciaire » et l’union polygamique. La répudiation, c’est-à-dire la rupture du lien matrimonial intervenant « à la volonté de l’époux » (article 48) revêt une dimension essentiellement inégalitaire puisqu’il est prononcé de manière unilatérale et se caractérise par l’absence de débat contradictoire. Ce type de dissolution du lien du mariage est considéré en France comme une pratique difficilement conciliable avec l’ordre public français. De ce fait, il pose problème à l’ordre juridique du pays d’accueil car très souvent, les « époux répudiants » engagent des procédures de divorce au pays, à l’insu de leurs épouses. Cette initiative place les femmes dans une situation de « répudiées », privées de garanties procédurales qui pourraient leur permettre de défendre leurs intérêts et ceux de leurs enfants.

Afin d’éviter ce type de situation, le droit français ne reconnaît pas la validité des divorces prononcés en Algérie. Ainsi, en date du 18 décembre 1979, « la cour de cassation avait jugé qu’une répudiation était contraire à l’odre public si la procédure ne permettait pas à chaque partie de faire valoir ses prétentions et ses défenses »

Dans un arrêt du 26 juin 1990, la juridiction française a refusé de reconnaître la légitimité et la validité d’un divorce qui a été « prononcé par défaut par la juridiction sous prétexte que les preuves pour constater la défaillance de l’épouse n’étaient pas suffisantes »

Cependant, certaines répudiations prononcées au pays peuvent, par le biais de « l’effet atténué » de l’ordre public, être considérées comme valables sur le territoire français dans deux cas. Primo, lorsque l’épouse a pu se défendre et protéger ses intérêts. Secundo, lorsque celle-ci accepte la décision de répudiation. Cette rupture du lien matrimonial est alors assimilée par la jurisprudence française à un divorce par consentement mutuel.

Hormis ces exceptions, en matière de dissolution du lien matrimonial, les Algérien(ne)s résidant en France sont soumis(e)s au principe de territorialité et donc à l’article 310 alinéa 2 du Code civil français lequel privilégie la loi du domicile.

La polygamie

L’éviction de la loi nationale lorsqu’elle est contraire aux principes du droit français intervient également lorsqu’il s’agit de polygamie, pratique institutionnalisée par le Code de la famille, autorisant une homme à contracter mariage avec plus d’une épouse (jusqu’à quatre épouses). L’homme doit obtenir le consentement de la première épouse (ou des premières épouses et de la future épouse. La réalité de ce consentement doit être vérifiée par le juge).

La législation française a prévu plusieurs dispositions entérinant la nullité des mariages polygames célébrés au pays. De plus, selon l’article 340 du Code pénal, tout mariage bigame « célébré en France est considéré comme un délit. Il s’agit là d’un délit instantané et non continu », explique E. Rude-Antoine. Par jugement du 22/1/1968 du tribunal de grande instance de Paris, il est précisé qu’« un officier d’état civil ne peut célébrer en France le mariage d’un étranger engagé dans les liens d’un mariage antérieur non dissous ».

En matière de regroupement familial, l’article L411-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) exclut l’entrée sur le territoire français, dans le cadre de la migration familiale, d’une seconde épouse. Ainsi, il est stipulé que « lorsqu’un étranger polygame réside en France avec un premier conjoint, le bénéfice du regroupement familial ne peut être accordé à un autre conjoint, sauf si cet autre conjoint est décédé ou déchu de ses droits parentaux ; ses enfants ne bénéficient pas non plus du regroupement familial ». D’autre part, l’obtention de la carte de résident est subordonnée à la situation matrimoniale. Ainsi, l’article L314-5 stipule que ce document ne « peut être délivré à un ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ni aux conjoints d’un tel ressortissant. Une carte de résident délivrée en méconnaissance de ces dispositions doit être retirée ».

En matière d’assurances sociales, le régime général de la Sécurité sociale ne reconnaît comme ayant-droit de son époux , assuré social, qu’une seule épouse. La seconde épouse se voit, par conséquent, privée du bénéfice des prestations des assurances maladie et maternité.

E.Rude-Antoine s’interroge cependant sur la validité de cette décision puisque la loi du 4 octobre 1978 admet pour « les citoyens français qu’un seul assuré peut conférer la qualité d’ayant-droit à la fois à son épouse et à sa concubine ».

Malgré le fait que la polygamie soit globalement reconnue par la juridiction française comme une notion contraire à l’ordre public français, le droit français, par le biais de « l’effet atténué de l’ordre public », reconnaît la validité sur le territoire français de certains mariages polygames célébrés au pays de manière non « frauduleuse » et leur font produire un certain nombre d’effets, en l’occurrence en matière de pension alimentaire, de divorce et de droit successoral.

illustration : DILEM