La crise financière expliquée par un fonctionnaire de la Banque de France

La crise financière expliquée par un fonctionnaire de la Banque de France

Les 400 milliards de dollars injectés au cours de la semaine par les banques centrales et l’interdiction de vendre à découvert les produits financiers ont permis de redresser les cours de bourse. Certains experts estiment toutefois que la spéculation à la hausse est factice et temporaire, et le sénateur John McCain s’est à nouveau démarqué de la politique monétaire américaine en demandant la tête du président de l’organisme fédéral chargé de régler les opérations de bourse. Christine Lagarde, interrogée dimanche matin sur Europe 1, s’est montrée très prudente pour évoquer une sortie de crise. Le MAGue a recueilli les explications d’un fonctionnaire de la Banque de France pour saisir les tenants et les aboutissants de cette affaire :

1. Certains experts évaluent les pertes financières à 1.000 milliards de dollars, est-ce un chiffre crédible ou symbolique ?


Si vous faites allusion à l’ensemble des concours accordés par les autorités américaines, ce chiffre est par définition parfaitement connu et fixé, sous réserve bien sûr de nouvelles interventions. Cependant, un redressement ultérieur des établissements rachetés par l’État fédéral américain, de même que la vente des portefeuilles de créances douteuses, devraient entraîner une diminution de la somme qui se trouvera en définitive à la charge du contribuable américain. Rappelons qu’il en est allé ainsi pour le Crédit Lyonnais.


2. Le Trésor américain a immédiatement injecté des liquidités sur les marchés, vont-elles suffire à redresser la situation ?


Pour l’instant, ces mesures ont donné les résultats escomptés. À l’avenir, tout dépend d’abord, bien sûr, de la survenance ou non de nouvelles crises de liquidités ou de solvabilité dans d’autres groupes bancaires ou d’assurances. Ensuite, de la volonté et de la capacité des autorités américaines à faire face à de tels sinistres s’ils se produisent.


3. Quelle est l’attitude de la banque centrale européenne vis-à-vis de la crise financière ?


Sans trahir aucun secret, je vous dirai qu’il est clair que la Banque centrale européenne veut absolument empêcher une crise ponctuelle de s’étendre à l’ensemble du système bancaire et financier.


4. On parle de socialiser les pertes et de privatiser les profits en fustigeant l’amoralité de cette option, mais y en existe-t-il une autre ?


Il semble dangereux de confondre morale et politique économique. Je vois cependant 2 réponses à l’inquiétude que vous manifestez. En premier lieu, toute opération de sauvetage d’une banque ou d’une compagnie d’assurances par les autorités doit à mon sens s’accompagner d’une entrée de l’État dans le tour de table au prix du marché — ce qui revient à sa nationalisation. En second lieu — et je m’exprime ici en tant que citoyen — les tribunaux devraient montrer une sévérité sans faille à l’égard des dirigeants qui se sont montrés incompétents ou malhonnêtes. Si le pouvoir des managers est considérable aux États-Unis, n’oublions pas que leurs malversations se soldent par des peines de plusieurs dizaines d’années de prison…


5. Les bourses ont tout de suite spéculé à la hausse, l’argent public a-t-il servi à aider les responsables de la crise à se refaire une santé ?


Dans certains cas, inévitablement oui, mais je vous renvoie à ma réponse précédente : gardons-nous de confondre politique économique et morale. C’est le bras armé de la justice qui doit sanctionner la violation des règles : il ne saurait être trop lourd. Les instruments de la politique économique et financière sont d’un autre ordre. N’oublions pas non plus que la Bourse est versatile, nous le voyons tous les jours, au sens propre de cette expression.


6. N’aurait-on pas dû laisser faire, en appliquant strictement une logique libérale ?


Oui. Elle consisterait à laisser une faillite bancaire se répercuter aux établissements de crédit qui se trouvent en relations avec l’établissement sinistré. Le reste de l’économie serait touché, compte tenu de la détention d’importants portefeuilles par les groupes bancaires, les groupes d’assurance et de nombreux autres acteurs. La Bourse serait, bien sûr, frappée de plein fouet dans son ensemble. Dans le pire des scénarios, on pourrait aller jusqu’à voir, à la porte des agences bancaires, des files de particuliers attendant de récupérer au moins une partie de leurs dépôts. Cela s’est produit après 1929 et, plus récemment, en Argentine…


7. Le système financier est-il capable de s’autoréguler ou doit-on définir des règles du jeu et qui doit le faire ?


D’ores et déjà, les activités bancaires et de marché sont soumises à des règlementations dans l’ensemble des pays du monde. Cependant, les professionnels s’ingénient à trouver des niches de rentabilité dans les secteurs où la réglementation est moins stricte. Cela a clairement été le cas avec la titrisation et le rachat de créances subprimes par des fonds, activité dont il faut signaler qu’elle nécessite, dans notre pays, un agrément bancaire ; tel n’est pas le cas aux États-Unis… Je vous signale également que les nouvelles règles bancaires internationales, dites de Bâle II — et issues d’une réflexion d’ensemble qui s’est étalée sur plusieurs années — sont beaucoup moins favorables aux activités de titrisation que les règles actuelles.

 

 


Des milliards de dollars sont partis en fumée
Car la Bourse a perdu d’un coup tout entregent,
Faut-il qu’on soit conduit à brûler tant d’argent
Pour faire un sort à notre intuition bien-aimée ?


Le cambiste a pour nous tout l’attrait d’un camée,
Bel homme, il a grand soin de lui, mais l’indigent
Se révèle à nous tous lorsqu’il est bien l’agent
Qui fait plus de dégâts que la plus grande armée.


L’épargne a pris grand soin de servir à boucher
Un trou plus grand qui va bien sûr coûter très cher,
Nos plans sont mis à mal par la nature humaine…


Fonder plus de richesse est un art au long cours,
Mais à partir de rien c’est juste un bruit qu’on mène :
L’argent facile est pour nous tous d’un grand secours !