Castellanos Moya, Fémina 2008 ?

Castellanos Moya, Fémina 2008 ?

Si les prix littéraires étaient un peu plus soucieux d’ouverture, et s’ils reflétaient un peu plus la qualité et l’innovation d’écriture tout en écoutant les lecteurs plutôt que de suivre une logique mercantile et l’avis de jurés décatis, Castellanos Moya serait à n’en pas douter un lauréat magnifique …

Et en guise de boutade et de coup de pied dans la fourmilière, je décerne le "prix du Mague étranger" (qui n’existe pas, on s’en doute !) à cet auteur grandiloquent histoire d’attirer un peu l’attention (mais en sont-ils encore capables ?) des jurés frileux et compassés de ces prix si parisiens qui s’attribuent entre éditeurs du même clan. Oui, les livres importants ne sont pas à aller systématiquement chercher chez GalliGrassSeuil, au contraire ! Il convient d’éplucher avec attention les catalogues des faussement nommées petites maisons pour y découvrir les perles rares.
Et en voilà une.

Ecrite en deux parties égales, cette histoire prenante dès la première page, s’articule autour de deux langues bien distinctes, deux narrations trempées dans un style coloré et brutal, lénifiant et troublant, qui dépeint exactement aussi bien le décor, l’ambiance et l’atmosphère que les sentiments ressentis par les personnages, les retours en arrière si précieux pour situer l’histoire, et qui imprègne aussi une touffeur imprimant le récit dans les pores du lecteur qui ne regardera plus l’Amérique Latine du même œil …

Première partie, L’Effondrement : fin de voyage harassant pour Alberto Aragó, ex Excellence du Salvador au Nicaragua qui débarque en milieu d’après-midi de juin 1994 à Mexico après avoir fui à bord de sa vieille camionnette car les événements avaient mal tourné pour lui. Homme de réseaux aux accointances aussi louches que changeantes, finalement haï par toutes les branches politiques du pays, lui qui avait réussi l’exploit d’être l’homme de confiance des guérilleros tout en étant un éphémère ambassadeur de la junte militaire salvadorienne, le voilà qui arrive au bout du chemin.
Comptant sur l’Infante, une grassouillette jeune fille de quarante ans sa cadette avec qui il avait passé les trois dernières années de sa vie, il échoue dans un cagibis prêté par son ancienne femme de ménage, et sombre dans l’alcool qui l’accompagne depuis près d’un demi-siècle. Entre comas éthylique et cauchemars, il tentera de survivre avec trente dollars en poche jusqu’à l’issue fatale …

L’Enquête sera menée par un privé tout aussi porté sur la bouteille, également érotomane, se pensant amoureux d’une journaliste en devenir qui le quitte pour parfaire ses études à Madrid. José Pindonga est tout aussi haut en couleurs que le sujet de son enquête. Il se raconte à la première personne et chamboule le rythme du livre en peignant son passe-temps favori pendant ses trois premiers mois de frais détective privé, en mal de clients. Mais comme sa secrétaire lui offre de jouir de ses charmes chaque fin de matinée, les jours passent comme météorite et l’insouciance fait le reste …
Il nous fait parfois penser au célèbre Pépé Carvalho qui cuisine comme un chef et brûle ses livres quand il déprime ; un clin d’œil que l’auteur nous livre au détour d’une répartie quand il se fait appeler Pepe par une amie tenancière de bar.
Son enquête faite à la demande de Jeremy Irons (sic) le mènera de bars en parties fines, sans doute pour noyer son amertume, mais surtout pour faire diversion car la vérité qui l’attend n’est en rien celle à laquelle nous aurions pu croire, et encore moins deviner. On vous laissera le plaisir de le découvrir avec un épilogue décapant.

Horacio Castellanos Moya, qui est né en 1957 au Honduras mais qui vécu au Salvador et fut le directeur du premier journal de l’après-guerre, travailla aussi au Mexique et au Guatemala. Menacé de mort à la suite de la parution de son roman Le Dégoût (Les Allusifs, 2003 ; 10/18, 2005), il a du s’exiler et réside actuellement aux Etats-Unis dans le cadre du programme d’accueil des écrivains organisé par Russel Banks.
On lira donc ce roman en s’infiltrant entre les lignes pour y découvrir l’autre face de ces années noires qui ont ensanglanté l’Amérique Centrale.
Polar déjanté mais aussi brûlot politique qui assène ses vérités et pose un regard lucide sur une région du monde que l’on appréhende que trop peu souvent : voici donc une occasion qui nous est donnée de nous informer en nous amusant …
Cela vaut bien un prix, non ?

Horacio Castellanos Moya, Là où vous ne serez pas, traduit de l’espagnol (Salvador) par André Gabastou, Les Allusifs, septembre 2008, 272 p. – 22,00 €