La nuit Fooding 2002 au palais de Tokyo

La nuit Fooding 2002 au palais de Tokyo

Le 9 décembre, tout le monde s’est assis sur le gazon pour le casse-graine le plus concept de la capitale : la remise des prix Fooding 2002. Alliant les charmes de la nappe à carreaux champêtre et du bonheur domestique (invasion de frigos au palais de Tokyo), cette nouvelle édition de la soirée miam-branchée laisse le souvenir d’un immense pique-nique à bord d’une station spatiale.

Au-dehors, dans la nuit déjà hivernale, l’avenue du Président-Wilson était envahie d’un froid sibérien. De petites silhouettes sombres, affamées et branchouilles convergeaient déjà vers le palais de Tokyo à l’élégante architecture. Déjà avant 20 h 30, les premiers visiteurs cherchaient l’entrée, sautant à pieds joints ou se frappant les épaules pour conjurer la bise glaciale. Là où les baies vitrées laissaient apercevoir l’intérieur, on devinait l’agitation d’événements pas encore tout à fait prêts à se produire.

Devant les portes de bronze, qui parfois s’entrebâillaient et se refermaient comme les valves d’un monumental bénitier, une imprimante solitaire nous distribua bientôt un texte incompréhensible, sans doute très fooding, mais nous n’eûmes pas le temps de décrypter le code puisque nous fûmes conviés à descendre l’escalier menant vers la scène et à entrer par une porte latérale. Surprise : nous traversâmes un petit jardin potager et des plates-bandes d’herbes aromatiques. Le lieu est incontestablement fooding.

Euh, c’est quoi le fooding ? Écoutez : la soirée, c’était hier, aujourd’hui c’est ce matin, alors on va faire court, et le slogan choisi cette année par Nova tombe à pic : manger de tout. On peut ajouter : sans se prendre la tête. Certes on gagne (par endroits) en maniérisme rive gauche ce qu’on perd en style Le Chasseur français/Chasse, Pêche, Nature et Tradition, mais on ne va pas s’en plaindre. Dans l’ensemble c’est beaucoup plus rigolo et plus détendu, au moins on peut se sentir bouger et respirer. Les prix Fooding récompensent ceux qui font avancer, en Europe, la cause de la bonne bouffe anti-réac - une révolution bien désirable en France -, ce qui ne veut pas dire novatrice à tout prix, bien que l’origine du mouvement vienne de Nova et en particulier d’Alexandre Cammas, le gourmet qui swingue.

Les numéros de table assignés à chaque invité étaient trompeurs : de table il n’y avait mie. Le sol de la grande salle avait été entièrement recouvert d’une vraie pelouse (avec de la vraie herbe et de la vraie eau sur les brins d’herbe) sur laquelle étaient dressées de grandes nappes à carreaux protégées de l’humidité sous-jacente par des feuilles de PVC cloqué. Chaque nappe était présidée par un frigo numéroté, renfermant des richesses insoupçonnées, et surveillée par un ange serveur.

Notre petit groupe prit place sur des coussins. On en vint très vite au fait : à peine les convives assis, et la plupart encore debout, les paniers de pique-nique atterrirent brutalement sur les nappes à carreaux comme des caisses de rations US parachutées dans un désert d’Asie centrale, offrant chorizo, saucisson Conquet, pains, couverts, serviettes (à carreaux, évidemment) ; en même temps qu’une pluie de champagne et de corbières rouges s’abattait sur nous.
Puis arriva le haut point savoureux de la soirée (avec le jambon Bellota-Bellota) : deux soupes chaudes dans des gobelets de carton ciré, velouté de champignons et velouté d’herbes vertes. Crémeuses à souhait, sur une superbe base de consommé de boeuf. Puis arriva une terrine de foie gras (provenant d’une maison du bois de Boulogne et hélas peu assaisonnée, sans doute selon les usages rituels de l’Ouest parisien). Bien entendu, quiconque le désirait pouvait aller prendre aux bars et aux comptoirs une bouteille de vin ou deux, du rab de soupe, une assiette de jambon d’Espagne ou un cocktail au cognac et au raisin écrasé (c’était ça qui faisait spouitch sur la pelouse parmi les glaçons répandus), mais le frigo renfermait encore ses surprises. Nous y trouvâmes la vison de rêve du pique-niqueur : une rangée d’oeufs durs, un bol de mayo, de petits paquets de beurre, un grand taboulé dans un saladier en plastique rouge, des yaourts aux fruits, des clémentines, des eaux minérales, etc. Un pâtissier médiatique avait même concocté pour les invités une tarte à la colle très chic. Dessert pour dessert, je préférai me faire servir une petite assiette de jambon pour rester sur une note de saveur. Toutefois des bocaux de verre contenaient, innocentes et floconneuses, de grosses houppettes de guimauve à la fleur d’oranger, contribution du génie pâtissier Frédéric Robert (Ducasse).

L’accompagnement musical était lui aussi furieusement fooding (« Mangez de tout », remember ?), passant de Charles Aznavour à des remixes de Air pour revenir à une France Gall de la bonne époque en passant par Jacques Brel. On n’en est pas arrivé à Mireille Mathieu, mais cela incite tout de même à se poser la question : où est la limite entre easy-listening branché et faut tout de même pas charrier ? Question contemporaine qui n’a pas encore trouvé de réponse.
Quand tout le monde eut à peu près tout goûté, quand le flan colloïdal eût réglé le sort de quiconque pouvait avoir encore un petit creux, commença la remise des prix Fooding 2002 sous les commentaires d’Élisabeth Quin et de Philippe Tesson.
Entre l’escalier et les cuisines, la soirée se prolongea en after avec open bar. Bien que ce pique-nique fooding n’eût pas donné lieu aux effusions qui sont le piment des soirées inoubliables (tout juste un ou deux croûtons de pain projetés à travers la salle), le prolongement de la soirée se révéla plus classique que le dîner lui-même. Bien que des amis spécialistes des dérapages d’ambiance nous eussent assuré que ce résultat n’était pas hors de leur portée, nous prîmes congé avant de voir cette entreprise réalisée.

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Photographies de Boucle d’Or. Tous droits réservés.

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