Prix du roman Fnac 2008 : Mettez un tigre dans votre livre !

Prix du roman Fnac 2008 : Mettez un tigre dans votre livre !

Dans ce roman, somme de tous les romans, un spécialiste de l’archéologie sous-marine nous livre une œuvre particulière, fruit de dix ans de travail. Voici l’un de ces romans qui font date, dont on aime parler, qui reste toujours en avant des autres sur les étagères, un roman que l’on offrira à ses amis, que l’on voudra partager tant il imprègne l’âme d’une douce musique, de valeurs oubliées, d’histoires impossibles et d’images incroyables …

Cela se passe au Brésil, de nos jours, dans une région sauvage du Nordeste où la vie se calcule en heures de marche à pieds, ou au maximum d’autobus. Où les pêcheurs vivent dans des huttes sans eau ni électricité, où le gouverneur est un tsar industriel qui régente aussi bien la vie de sa femme, sa domesticité que ses ouvriers, où les étudiants entraînent leurs professeurs dans des escapades impossibles au bord d’une mer turquoise, où la loi du plus fort prévaut, à tel point que remonter le fleuve est sujet à y laisser la vie si l’on passe outre les recommandations des trafiquants. Bref, c’est épique, c’est baroque, c’est romanesque à souhait …
C’est donc LE roman de la rentrée par définition ; un pavé qui vous portera tranquillement vers l’automne et ses frimas, bien calé devant un feu de cheminée …

Pour nous y retrouver dans toute cette jungle, une forêt de personnages hauts en couleurs et très attachants. A leur tête, Eléazard von Wogau, correspondant de presse qui envoie ses dépêches tout en sachant que personne n’en tiendra compte tant le monde a autre chose à faire que de s’intéresser à ce qui se passe au Brésil, dans un trou perdu qui plus est. Alors il accepte d’étudier, d’annoter et de mettre en place le manuscrit des mémoires de l’assistant d’Athanase Kircher, un érudit de la fin du Moyen Age (1601-1680) qui aurait découvert tant de choses que cela en devient inquiétant.
Ce jésuite aurait grillé la politesse au grand Léonard de Vinci, il aurait maîtrisé l’égyptologie, la vulcanologie, l’optique, les mathématiques et que sais-je encore … et aurait inventé des machines extraordinaires pour son temps tel que le microscope, la lentille capable de détruire un navire en se jouant du soleil, voire le magnétophone ou le cinéma … Kircher serait-il un faussaire mystique ? Ce qui est clair, c’est qu’il "appartient encore au monde d’Arcimboldo : s’il apprécie les anamorphoses, c’est parce qu’elles montrent la réalité telle qu’elle est. Pour exister vraiment, paysages, animaux, fruits et légumes ou objets de la vie courante doivent recomposer le visage de l’homme, de la créature divine à qui la Terre est destinée."
En parallèle à ce témoignage apocryphe pour le moins exubérant, se monte aussi une expédition dans la jungle du Mato Grosso à la tête de laquelle on trouve l’ancienne femme d’Eléazard ; quant à sa fille Moéma, il la croit étudiante appliquée alors qu’elle n’est qu’une droguée qui ne pense qu’à forniquer avec sa copine ou à danser jusqu’au petit matin …
Le lecteur sera donc plongé successivement dans la biographie de Kircher, le "maître des cent arts", puis dans la trame du récit contemporain, et ces immersions répétées déroutent tout autant qu’elles enchantent … Au détour d’une page c’est un drame qui vous sert la gorge ou une partie fine, narrée en latin qui vous émoustille : "Deinde cuniculum ilius diu linxi, dum irrumo" … Je vous laisse traduire … ou mieux, le découvrir à la page 264.

Pimenté par les réflexions qu’Eléazard annote sur un carnet, le style agile et précis se joue des périodes tout en nous rappelant les feuilletonistes du XVIII et XIXième siècle. Tout en s’interrogeant sur la nature humaine, Jean-Marie Blas de Roblès tisse une œuvre forte qui ouvre à la réflexion.
De chaque personnage, de l’homosexuel au cul de jatte, du trafiquant à l’Indien, transpire une réelle volonté, que cela soit pour jouir de la vie ou se venger du destin, mais personne ne se résout à la destinée. Il y a dans le combat, qu’il soit intérieur, un simple exutoire ou pour survivre, mené par chaque protagoniste, une vérité qui s’acharne à prendre racine. La nature impose la loi du plus fort, toujours, mais cela n’empêche en rien l’astuce, l’intelligence, la ruse de triompher, car qui dit plus fort, ne le prédispose pas à le voir uniquement du côté physique. Qui vivra verra …

Jean-Marie Blas de Roblès, Là où les tigres sont chez eux, Zulma, septembre 2008, 776 p. – 24,50 €