Pierre Oliveri : « Exilé de mon Etat, ou l’empire de l’algérie », un poème pour la mémoire.

Pierre Oliveri : « Exilé de mon Etat, ou l'empire de l'algérie », un poème pour la mémoire.

« Et le pays qui nous reçut ne sera pas un foyer mais l’exil, » Bertolt Brecht

Pierre Olivieri

poète, romancier et militant pétri de valeurs humanistes qui éveillent à des envies de fraternité et de solidarité. Mais encore ? Un homme, exilé de son état, vivant entre la France et le Cambodge, cultivant inlassablement son amour pour l’Algérie, ce pays qu’il a rencontré sur le chemin de sa trajectoire migratoire. C’était en 1957. Le temps de la Bataille d’Alger. Il y a de cela cinquante ans.

2007.

Paris. Phnom Penh. Et l’Algérie ? Une ombre qui hante et déambule dans les interstices des fragments du désordre intérieur des souvenirs qui cherchent à se frayer un chemin pour exister à la lumière du grand jour.

Au cœur de ce vaste champ de réminiscences en proie à la reviviscence, Pierre creuse et fouille. Arrêt sur image. Des éclats étincelants jaillissent de la convulsion des souvenirs d’un jadis tumultueux et tourmenté, porteur pourtant de la promesse d’espoir et d’un monde meilleur. Et au milieu de ce tas d’images enracinées dans les confins de sa vision mémorielle, il se laisse porté par cette vague d’ivresse qui éveille en lui le désir de préserver ses souvenirs de l’engloutissement dans les eaux troubles de l’oubli. Et il s’en les accueillir pour les recueillir et cultiver leur tumulte mémoriel.Voyage à l’intérieur de l’écoulement du temps. Projection temporelle. En arrière. Et voilà que le poète revient sur ses pas, sur les empreintes d’un passé « vieux » de cinquante années.

1957.

Arrivée en France d’un enfant âgé de dix ans en provenance des Pouilles (1). Migration familiale. La mère et les enfants quittent leur Italie natale pour rejoindre le père venu en France dans le cadre d’une migration de main d’œuvre (2). Installation dans Paris 20ème. Boulevard de Charonne, une sorte de « septième wilaya », selon Pierre Olivieri. Car dans ce quartier parisien, vivaient, dans des chambres vétustes et insalubres, un grand nombre d’ouvriers algériens qui, quotidiennement, faisaient l’objet de contrôle, de rafles et de fouilles au corps. C’était la guerre d’Algérie, « ma guerre d’Espagn »e, affirme cet homme qui, très jeune, avait été témoin de ces bavures policières, de ces violences physiques et psychologiques et des comportements humiliants et avilissants des policiers.

Et l’Histoire poursuit son cours. Le 17 octobre 1961 alors que des Algériens qui manifestaient pacifiquement pour l’indépendance de leur pays sont arrêtés, roués de coups, emprisonnés et pour certains, jetés vivants dans la Seine, l’indignation et la colère de ce jeune adolescent s’accentuent. Il a alors à peine quatorze ans. Et en compagnie d’un groupe de copains, ils s’en va questionner le curé quant à l’inhumanité de ce traitement. En réaction à l’immobilisme de son entourage, Pierre décide d’adhérer à la Jeunesse communiste. C’est alors le début d’un long parcours militant. Le tournant de sa vie car « c’est le lendemain du 17 octobre 1961 que je suis venu à la Politique », raconte Pierre Olivieri.

Et puis il y a eu cette rencontre avec une femme algérienne, Djamila.Une passion qui a contribué à alimenter l’amour de Pierre pour l’Algérie et ainsi sa fascination pour ce pays qu’il n’a jamais visité. Cinquante années plus tard, face aux blancs de l’histoire, dans le désert de l’emprise que ce pays exerce sur son cœur et sur sa mémoire, le voilà qu’il redonne vie aux souvenirs d’une époque qui a laissé des empreintes ineffables et indélébiles en composant un poème épique dans lequel il ressuscite quatre personnages connus dans l’histoire algérienne mais pas toujours reconnus à leur juste valeur : Si Mohand ou M’hand, « le prince des poètes qui s’insurge contre la loi des pourceaux » ; Kateb Yacine, du « Mohamed prend ta valise », poète et écrivain dans « le langage vernaculaire et éminemment populaire » ; Messali Haj, « le pèlerin de l’indépendance, haj de son patronyme et exilé de son état » et Saint Augustin, « d’Annaba ou de Bône le vieux ou d’Hippone l’ancêtre ».

Quatre figures réunies dans un poème aux alexandrins déboîtés, à la langue désarticulée , habillée de mots porteurs de renouveau dont le sens agit comme une véritable révélation aux effets libérateurs. Rencontre imprévisible des quatre personnages sur la route qui mène vers Tunis. Et au cœur de ce lieu où le hasard les avait réunis, ils parlent, échangent tournant en dérision le moindre événement. Des mémoires en transe. Des voix, des échos, des ombres parvenus d’un ailleurs lointain et proche surgissent au-delà des flots des souvenirs.

Mais ces voix qui parlent en silence ! Ces tremblements de l’écho des mots ! Cet enchevêtrement des regards de ces êtres mouvants et émouvants ! Signes avant coureurs ? Mais de quoi ? Fin de l’errance mnésique ? Et ce poète qui ose une incursion dans le flux du temps, un « réveilleur » de morts ?

Certainement pas ! Mais plutôt un être qui à sa propre façon, dans son propre style, utilise la poésie comme un moyen de médiatisation de sa passion pour l’Algérie. L’écriture poétique devient alors le lieu de la manifestation d’une profonde sensibilité à l’histoire commune de deux peuples ; une écriture qui se révèle à nous comme le lieu du possible, du devenir, de l’ouverture, de l’Espoir et de l’Espérance.

Alors, à la lumière de cette approche, la mémoire de Pierre Olivieri s’offre à nous comme un ensemble d’images, de mots, de paroles qui dit, (s’) exprime, signifie, révèle, suggère. Et tel un joyau qui se déploie dans tous les sens de sa splendeur, la mémoire privée se met à revêtir une dimension essentiellement publique et s’en va contribuer à l’émergence d’une Histoire qui se nourrit du récit mémoriel individuel et collectif, tous deux mêlés et entremêlés. Alors, afin d’habiller le présent de cette promesse de renouveau qui se déploie dans les déambulations solitaires d’un exilé du coeur et de la mémoire, immergeons-nous en dedans de ce moment d’extériorisation, de révélation et de liberté. Et à la naissance du premier rayon du soleil, hâtons-nous de cultiver le sens de cette parole qui lie et relie la Mémoire de l’Histoire à l’essence de la vie.

1 – Une région du Sud de l’Italie

2 - C’était l’année où Guy Mollet avant envoyé en Algérie plus de 400 000 soldats, dont beaucoup d’ouvriers. Le recrutement de migrants avait pour objectif de palier le manque de bras dans les usines.

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EXILE DE MON ETAT, OU L’EMPIRE DE L’ALGERIE . « Quelques éclats d’Algérie dans la vie de Pierre Olivieri".

Editions de la plus haute tour , Novembre 2007

Cet ouvrage regroupe deux poèmes : l’Empire de l’Algérie » et « le Chant empoisonné de la mer du milieu ». Un texte intitulé « Texte censuré une disparition ». Et une interview accordée par Pierre Olivieri au quotidien algérien, « la Nouvelle République », en mai 2007. Il est le témoignage vivant de la mémoire privée d’un homme qui porte l’Algérie au cœur de son cœur. Ecoutons son cri :

« En cette année qui marque le 50ème anniversaire de la bataille d’Alger, ce petit ouvrage raconte comment u Français d’origine italienne, Pierre Olivieri, a participé tout jeune, de cœur, à la lutte des Algériens pour l’indépendance. Jusqu’à tomber sous l’emprise d’une Algérie où il n’a jamais été, sous l’empire d’un payse] qui le fascine. Pierre Olivieri poète et écrivain, dont la mère est née à Tunis, a vécu dès son enfance en « communion » avec la culture du Maghreb. Immigré en France en 1957 alors qu’il avait dix ans, il s’exilera une deuxième fois en Asie à la fin des années quatre-vingt-dix ».

EXTRAIT

"Bismilleh ar nebd’asefru

Je vais com

mencer le poème

de l’empire que al

djezaïr

continue d’avoir sur nous

mohand-

ou-mand aît hmadouch

de composition

non’

convertible en franc

ni en musulman

mais

né à notre mère

la politique

Ton nom

Messali

Pèlerin de lin

dépendance

depuis

les années rente

quand

pharmacien

et

berzida ns

allaient jusque dans

les cimetières

prouver la non-existence

de la natio algériane

Yacine

Du

Moha

mmed prend ta valise

Et comment

Et en langage

Vernaculaire

Et éminemment

Populaire

Sauf le respect que je vous dois

Parliez à

vos

prolos de gennevilliers

et aux moujiks

de l’aurès

comme en latin

Dans vos discours

Que

Je parcours

Les jours de pluie de cendres

Tombant sur nos têtes

pas prêtes

on dirait

pour une

paix d’algérie

dans le soir atone,

ils reprirent leur route

pour

tunes

dans l’étoile climatisée

Augu

stin

ne confesse pas

de grâce

ta conver

sion

tu finirais dans le fossé

ton sexe ai

en bouche ..."