Ken Park

 Ken Park

Un 3/6 flip au-dessus de vos têtes et de la sainteté. Coup de force magistral.

Entrée en matière par la roue du skate et sortie par la grande porte du cinéma avec l’art & la manière par un Special thanks to Ed Templeton.

Ce dieu vivant que les skaters avertis connaissent bien au même titre que Tony Hawk et quelques autres anciens de légende, et une B.O. d’enfer punk, de fièvre hip hop et d’électricité rock.

Une planche à roulette sur un espace No Trespassing, l’espace interdit du Citizen Kane de Welles. Ken Park est un film pur et maléfique, en ceci qu’il adopte un ton résolument calme - pas froid & ampoulé à la façon d’un Michael Haneke, pas serial killer & culture clip à la Oliver Stone -, mais une voix dans le noir s’élève et vient d’emblée capter le propos - et par la même occasion le spectateur, happé par ce qui s’y joue -, puis tour à tour affoler & calmer. Odeur de papaye douce et de sexe. Guerre & incompréhension entre générations dans un souffle brûlant de réminiscences mythologiques sous forme d’inceste, inconscient collectif pris à la gorge dans ce qu’il a de plus réel, scènes shakespeariennes & Eden retrouvé.

Ambitieux et majestueux, simple et rêche, raide comme une queue et âpre comme une planche de skate, Ken park définit une nouvelle mythologie de la rue et de l’errance, de l’intérieur familial et de la folie qui y règne, de l’adolescence et de l’abandon de toute forme de rébellion, du crime et du suicide, du sexe à trois ou de la vie banale et de ses faits divers. « Soulevez le couvercle de la marmite familiale, et vous trouverez un nid de serpents », voici ce que semble dire le cinéaste.

Larry Clark vous apprend à déterrer vivantes les carnes nécrosées des esprits semi-broyés de vos pères, dans une société qu’ils ont la responsabilité d’avoir créée, et surtout de tenter de préserver à coup battoirs, où les religions se disputent le trône de la morale et les milices armées celui de l’ordre et du pouvoir politique, un asile psychoactif à ciel ouvert, où parents à la dérive et couples en perdition observent grandir la chair de leur chair, leurs enfants, sans les reconnaître, et surtout bien comprendre ce qui se trame dans leurs esprits. L’Amérique est à l’instar de l’absinthe, un alcool qui rend fou, un alcool pour cocktails Molotov que l’on fait exploser à l’intérieur de son propre crâne.

Et Ken Park redessine les flammes de l’explosion. Avec Elephant, le pur joyau de Gus Van Sant, Ken Park dresse le tableau d’un cinéma différent, poétique et sans concession, libre et hypnotique, où le réel s’abîme dans une photographie qui ne triche plus. Ainsi la scène où l’un des jeunes se masturbe chez ses grands-parents, une corde autour du cou, dans un remake de ces jeux dangereux pour adolescents, le « jeu du foulard », ou « rêve indien », « rêve bleu », « jeu de la grenouille », « des poumons » Un cinéma qui emploie un nouveau langage, avec les codes de la nouvelle génération, et qui ne tremble pas, ne passe pas en hors champ de la caméra, quand la semence gicle, coule et pend. Un cinéma qui débarque, auréolé de son interdiction aux Etats-Unis, comme ont débarqué en France les films de Dumont et ceux de Gaspar Noé, avec une force et une radicalité lucide et folle. Comme un coup de couteau entre les cotes du cinéma hollywoodien. Ken Park est un témoignage et les générations futures se souviendront peut-être alors de ce qu’était l’aube du XXI ème siècle. Un nouveau désert en béton, un skatepark gigantesque pour skaters nonchalants…