La Pornographie à la Télévision aurait pu relancer le Service public

La Pornographie à la Télévision aurait pu relancer le Service public

John B. Root, producteur et réalisateur français de films sexuellement explicites, dresse pour Le MAGue un état des lieux du non-sens libéral à la française en matière de diffusion audiovisuelle. La télévision doit connaître à partir de la rentrée de profonds bouleversements à cause de la redistribution des recettes publicitaires. Les chaînes hertziennes privées vont recevoir plus d’armes pour s’opposer à la concurrence des nouvelles technologies et celles du service public vont devoir redoubler d’imagination pour conquérir un public de plus en plus volage. Proposer des programmes attractifs à coût réduit, booster l’audience du service public en offrant au public jeune et moins jeune des formats fédérateurs et consensuels, telle est l’opportunité que des producteurs de films X qui s’insurgent d’avoir été mis au placard en laissant le champ libre aux reality shows dénués d’intérêt auraient voulu proposer dès maintenant, mais ils continuent à ronger leur frein après une trentaine d’années de relégation dans l’enfer du Web et des vidéo-clubs.

Le MAGue : Pour vous, le sexe est-il un sujet d’intérêt public ou vaut-il mieux ne pas en parler ?

John B. Root : Si je pensais que le sexe n’était pas un sujet d’intérêt public, je n’aurais pas fait ce métier. Le sexe est une belle chose et il est possible de réaliser de beaux films avec du sexe, avec un bon scénario et de bons acteurs. C’est ce que j’aimerais faire, évidemment, mais le législateur a traité le sexe avec hystérie, il l’a relégué dans un ghetto pour l’empêcher de devenir un genre cinématographique. C’est tout le sens de la loi de 1976, car il a tout fait pour empêcher que la sexualité filmée se répande dans d’autres média. Il est désormais impossible pour quelqu’un de s’exprimer avec du sexe. L’objectif du législateur était de marginaliser le sexe et il a réussi.

Le MAGue : En constatant l’évolution de la société française a depuis 30 ans, croyez-vous que le X soit plus, ou moins stigmatisé aujourd’hui qu’auparavant ?

John B. Root : Dans l’opinion publique en effet, c’est aujourd’hui un produit quelconque, mais le X a perdu toute mission. Il n’a plus d’autre intérêt que masturbatoire… C’est consensuel, mais sûrement pas culturel. Le X n’est pas considéré comme de la production audiovisuelle par le CSA, et nous avons en plus la censure sur le dos. Ma boîte est assujettie aux mêmes taxes que les autres sociétés de production, mais je n’ai pas accès aux aides publiques ou des chaînes de télévision comme les autres producteurs ! Nous vivons en quelque sorte la même chose que la musique et la culture : il n’y a pas de qualité, juste de la consommation courante, et le X fait maintenant partie du domaine du gratuit bas de gamme.

Le MAGue : L’audiovisuel public a été pionnier dans la diffusion de programmes à caractère érotique, est-il capable à l’heure actuelle de continuer à dépasser les tabous de notre société ?

John B. Root : Non, c’est Canal + qui a été pionnier dans les années ’80 en diffusant pour la 1ère fois un film X, Exhibition 99. Les chaînes publiques ont simplement suivi le mouvement en diffusant de l’érotique soft. Il n’y a jamais eu de films sexuellement explicites sur l’audiovisuel public, à part exceptionnellement sur Arte. Cette chaîne est la seule qui a eu le courage d’en diffuser. Le X est rangé en catégorie 5 par le CSA, ce qui ferme la porte à toute opportunité pour la diffusion et la production. Nous ne pouvons plus compter sur l’argent de la télévision tant que nous montrons du sexe explicite. Il ne reste plus que le Web pour atteindre le public. Pourtant, les chaînes privées ont eu besoin du X pour exister, or nous n’avons pas obtenu de rétribution en retour. C’est ainsi qu’ont émergé les groupes Canal +, XXL et Dorcel TV. Cette dernière est d’ailleurs la seule chaîne qui ait atteint une taille stratégique en France, qui puisse prétendre à un destin industriel. C’est une usine. Le métier est en crise et à l’heure actuelle, personne ne peut plus gagner d’argent. Un film est vendu 3.500 euros pour un an de diffusion, alors qu’il faut 5.000 euros rien que pour couvrir le cachet des actrices.

Le MAGue : La production pornographique est-elle en mesure de proposer des produits de qualité avec moins d’argent que ne le supposent les programmes classiques ?

John B. Root : J’essaie de faire ça depuis 15 ans ! C’est vraiment une cause perdue. J’ai réalisé mon dernier film, Ludivine, avec 50.000 euros, ce qui constitue le 100ème du prix d’un téléfilm. Il faudrait tout de même qu’on ait le droit de diffuser un beau film avec un bon scénario, mais c’est la loi qui interdit au cinéma de s’emparer de la sexualité. La législation française est plus frileuse qu’en Espagne ou dans les pays du Benelux. Je crois que la sexualité fait très peur aux sociétés judéo-chrétiennes. Dans un système capitaliste, quelque chose n’existe que parce qu’elle est rentable. Le X est effectivement rentable en ce sens qu’il paye des milliards d’euros en téléphonie, sur Internet, etc. C’est évidemment un moteur économique pour l’audiovisuel, mais officiellement c’est de l’argent sale. Si notre société se sentait à l’aise avec la sexualité, on en verrait à la télévision : nous avons un problème avec l’image sexuelle. C’est pourquoi le sexe existe pour des niches commerciales, mais ce n’est pas ainsi qu’on fabrique un genre, et qu’on lui donne un sens.

Le MAGue : Seriez-vous favorable au retour des films X sur les chaînes de télévision hertzienne ?

John B. Root : Vraiment, je me fous des films X. Le sexe m’intéresse dans la mesure où il fait peur. Ce que je souhaite est qu’on joue un jour avec l’image sexuelle en dehors du X : faire du cinéma avec des vrais morceaux de couilles dedans ! Le dernier qu’on ait vu, grosso modo, c’est L’Empire des Sens en 1976. Si le sexe n’était plus transgressif, il cesserait d’exister. J’ai voulu explorer un genre, mais je me suis cassé la tête. Mon terrain de jeu était bien plus large 15 ans en arrière, l’évolution me paraît irréversible, et je devrais quitter le X, car il a atteint un niveau zéro et je m’y emmerde. Ceci dit, j’aimerais bien entendu à nouveau raconter de belles histoires avec la sexualité. Il faudrait pour cela que le sexe ne soit plus tabou dans notre société.

Le MAGue : La réduction des recettes publicitaires à la télévision est-elle alors une opportunité pour la production pornographique ?

John B. Root : La télévision publique n’a jamais diffusé de bite ou de chatte et nous n’existons pas pour elle. Tout ce qu’elle a fait, c’est de donner du Canada Dry à boire au lieu du whisky. Le monde a évolué sans elle et les gens ont bien évidemment pris goût au whisky ! Je crois que le débat sur l’avenir de l’audiovisuel public est ailleurs et qu’il n’y a pas lieu d’espérer quoi que ce soit pour le sexe à l’écran.

Le MAGue : Puisque vous connaissez bien le service public, seriez-vous à même de tourner des programmes X politiquement corrects et pouvant être diffusés en access ?

John B. Root : Dès qu’on montre une bite, c’est politiquement incorrect. Sans ça, je serais capable de faire des programmes et de montrer des choses intéressantes. Il ne faut pas se leurrer : l’Ordre moral s’est réinstallé de plus en plus fortement. On a dit en mai ’68 qu’il était interdit d’interdire et la société est devenu un grand Woodstock en 10 ans. Il y avait plus de films X que de films normaux dans les cinémas, il y en avait sur les Champs Élysées… On a pris peur ! Jack Lang aussi n’a eu de cesse que de renforcer la loi de 1976. Quand on a réussi à cantonner la sexualité dans un ghetto cracra, elle a cessé d’attirer des artistes. Elle est désormais un genre commercial mineur et le législateur a gagné. Une foule de créateurs auraient pu s’en emparer pour faire des chefs d’œuvre… Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Il y aura un statu quo pour quelque temps. Le X est mort.

 

 


Ton sexe, à mon avis, à voir fait plus envie
Qu’un grand plateau télé servi en un instant,
Souffrez que ce débat mené tambour battant
M’ait plus vidé le soir que ma flamme assouvie.


Mon vît n’attend que toi pourvu qu’on le convie
Au festin de la chair tant qu’il est bien portant,
J’attends de toi ce soir un programme excitant,
Pas juste un écran noir : au fond tu es ma vie !


Souffrez que mon désir ne soit pas trop petit
Pour qu’un spectacle idiot m’ait mis en appétit,
J’ai soif, soif de ta vulve et de son sillon rose…


Amenez donc la foule au bout d’un bel effort
Sans quoi, la chaîne est près de risquer la sclérose :
Un service est public quand l’amour est plus fort !

 

Retrouvez ici John B. Root et son art sexuellement explicite.