"Une salaison au paradis des sens"

"Une salaison au paradis des sens"

Il est des livres que l’on a aimés, que l’on a recommandés à ses amis mais qui, sitôt digérés, font passer à autre chose car finalement ils n’ont en rien bouleversés durablement notre bibliothèque ou notre paysage littéraire. Et puis il y a parfois, assez rarement dois-je dire, des objets goûteux qui dépassent tous les degrés du jugement de l’œil et du palais, qui rendent fades tous les superlatifs que l’on a dans son vocabulaire des sens tant ils ont provoqué en nous un contentement rassasié. Des livres que l’on célèbre en un banquet épicurien sur l’autel des plaisirs gastronomiques et littéraires. Que l’on conseille chaudement à son entourage comme une invitation tacite à une orgie gargantuesque dont on sait d’avance qu’elle sera une fête réussie.

C’est un livre gras qui a une odeur et de l’épaisseur, sa chair est tendre, une peu rosée, on en ferait bien son quatre heure en oubliant tous les cholestérols et les triglycérides du monde. « Salami » est un bel ouvrage qui se déguste, qui se dévore, qui s’offre pour une bouchée de pain, car il a été cuisiné aux petits oignons avec un bon goût indéniable par deux véritables artisans. On en a pour son argent car le menu est complet, des mots simples qui sentent le vrai et de la boustifaille naturelle qui ne laisse pas un goût amer dans la bouche ou provoque des désagréments intestinaux.

« Salami », c’est bien plus qu’un livre c’est une aventure humaine, née de la rencontre improbable d’un photographe et d’une plume audacieuse et généreuse. C’est aussi une drôle de couverture aux couleurs de son sujet qui plaira autant aux boudins qu’aux esthètes, aux amateurs du beau et à la ménagère de plus ou moins cinquante ans. C’est aussi un livre historique qui narre la recherche scrupuleuse d’un homme bien décidé à percer les mystères de la charcuterie. « Salami » est un délice conceptuel fac-similé diablement réussi d’un livre d’art géant, mais qui lui est abordable pour toutes les bourses. Il se présente en deux partie distinctes et complémentaires, se lit dans tous les sens. Les textes sont une balade subjective dans l’œil et l’estomac de l’ogre Gérard Oberlé, roi de l’élégance et de la beauté quand il touche à ce qu’il aime et connaît le mieux : le plaisir intellectuel des sens. Les photo de Hans Gissinger donnent corps à la matière, on les regarde comme on regarderait la devanture d’une enseigne bien achalandée, ils sont à la fois objets du voyeurisme, de la convoitise, symboles phalliques ou objets de notre gourmandise immédiate. Ils sont aussi et surtout un témoignage sur la diversité du salami dans ses formes et ses tailles, un catalogue érudit bien renseigné sur l’état du marché, sur la côte de la viande fumée ou pas.

Dans « Salami » on apprend plein de choses savoureuses, de l’origine du mot « charcutière » aux secrets les plus intimes de l’enfance de l’ écrivain, en passant par mille et unes aventures à la recherche du saucisson perdu.. C’est un bouquin délicieux, malin, hors norme qui rend cette entreprise iconoclaste précieuse, inventive, et délirante. On aimerait que les auteurs mettent les bouchées doubles et nous entraînent vers d’autres épopées en quête d’autres paradis gustatifs en oubli.

Précipitez-vous, le livre est disponible de suite chez tous les bons charcutiers qui aiment le verbe fort et qui n’ont pas la langue de bois. Oyez oyez braves gens, ne passez pas votre chemin. La dégustation est immédiate et sans modération. La relecture de cet étalage féerique est même vivement encouragée !

Salami, textes de Gérard Oberlé, photographies de Hans Gissinger, Actes Sud/Le Rouergue, 116 pages, 19 euros.

Salami, textes de Gérard Oberlé, photographies de Hans Gissinger, Actes Sud/Le Rouergue, 116 pages, 19 euros.