Le mandat impératif, de la Révolution française à la Commune

Le mandat impératif, de la Révolution française à la Commune

Pierre-Henri Zaidman explore en historien la genèse du mandat impératif et la défaite de ses partisans face aux tenants de la démocratie représentative. Son texte a le grand mérite de resituer le débat dans son contexte historique : 1791 et les Enragés (Jacques Roux, Théophile Leclerc, John Oswald et Jean-François Varlet), 1848 et les fouriéristes, 1871 et la Commune de Paris bien sûr, sans oublier les étonnantes ambiguïtés des blanquistes.

L’auteur, dans une approche dont on regrettera la brièveté, signale que, dès le 17 juin 1789, un débat s’engage sur la question du mandat et de la démocratie directe avec d’un côté une bourgeoisie hostile à cette forme de fonctionnement et de l’autre une noblesse qui espère défendre ainsi ses privilèges.

Ces derniers s’appuyaient sur une tradition ancienne et vivace. Dans la société de l’Ancien Régime, les représentations des groupes sociaux obéissaient en effet aux règles du droit privé. Les représentants étaient les porte-parole pourvus d’un mandat impératif. Ils étaient sous le contrôle de ceux qui les avaient mandatés. Étrange ironie créée par une situation historique qui met la bourgeoisie au pied du mur. Elle se sent investie d’une mission de représentant de la nation. « Il faut nécessairement qu’un peuple qui ne peut délibérer en un seul corps accorde sa confiance, délègue l’exercice de sa souveraineté, et donne à ceux qui seront élus dans les diverses parties de l’Etat, le droit de délibérer pour lui », déclare un député du tiers état. C’est le peuple dans les districts, notamment à Paris, qui remettra la question mandat provisoire comportant des clauses particulières et pouvant être modifié à tout moment par les commettants, au centre des débats.

Il est évident à la lecture de cet opuscule qu’il s’agit d’une question qui devrait occuper une place centrale dans les discussions politiques actuelles. Car, au-delà des connaissances qu’il nous livre, il souligne la nature des enjeux idéologiques qui animent les partisans du mandat impératif et ceux d’un mode de représentativité fondé sur la délégation de pouvoir donnant à ceux qui en bénéficient la légitimité de légiférer pour le bien du peuple. Car il n’est ni plus ni moins question du sens même de l’exercice du pouvoir dans une démocratie.

L’auteur nous rappelle que Rousseau se méfiait d’un système dans lequel les inconvénients l’emporteraient sur les avantages. Il est évident que dans une société démocratique et autogérée le mode d’organisation qu’elle suppose implique un contrôle des modes de délégation qu’elle propose. Il est donc essentiel, pour Rousseau et le mouvement populaire qui fit toutes les révolutions, d’élaborer une forme d’exercice de la démocratie directe qui se distingue fondamentalement du modèle représentatif institué par la bourgeoisie.

La démocratie représentative institue, comme le rappel B. Manin dans son ouvrage cité par Pierre-Henri Zaidman, Principes du gouvernement représentatif, le pouvoir d’une élite, spécialistes et professionnels de la représentation dans une légitimité dont John Oswald dira, en 1791, qu’elle est « vicieuse et illusoire ». Babeuf et ses amis, dont Buonarroti, ajouteront que cette élite confisque les révolutions et finit par former « une classe exclusivement au fait des principes de l’art social des lois et de l’administration », parvenant ainsi à créer « des distinctions et des privilèges ». La démocratie représentative convoque le peuple à chaque élection et exige de lui qu’ensuite il se soumette silencieux et servile, quelle que soit la nature des lois votés et leurs conséquences. À l’inverse les partisans du principe du mandat impératif aspirent à une liaison directe entre souveraineté et pouvoir et voient en tout Etat l’instrument de domination du peuple.

Pierre-Henri Zaidman met en évidence à quel point les perspectives ouvertes par les Enragés ont été étouffées au sein même du mouvement révolutionnaire. Pierre-Joseph Proudhon revient sur cette question dès 1851. Il analyse le problème de l’Etat, d’abord dans L’Idée générale de la Révolution au XIXème siècle puis dans Du principe fédératif, précise l’auteur. Proudhon se livre à une critique de la démocratie parlementaire, par en haut et par décrets. Au sein de la Commune surgissent de vifs débats, attisés par la situation dramatique dans laquelle se trouvent les insurgés dès le mois d’avril 1871. Ce sont les minoritaires qui se montreront fidèles aux principes de la démocratie directe et du mandat impératif. Ils poseront, explique l’auteur, les jalons d’une République démocratique que la Commune n’a pas eu le temps de réaliser.

Les perspectives ouvertes par l’exercice du mandat impératif seront l’objet, précise Pierre-Henri Zaidman, de condamnation doctrinale dans les statuts de la Ligue communiste révolutionnaire (XVème congrès, novembre 2003). Et l’on sait que, dans les pratiques des AG et des coordinations, les militants des organisations constituées sont souvent peu regardants sur les moyens lorsqu’il s’agit de prendre le contrôle d’un mouvement de contestation. L’inventaire des pratiques les plus douteuses reste à écrire. Mais ceci est déjà un autre débat.

C’est dire si l’on ne peut qu’espérer qu’un second opus soit commis avec la même rigueur et qui porterait sur une seconde, voire une troisième, période de la vie et les avatars de la démocratie directe. En regardant du côté du syndicalisme révolutionnaire, du léninisme, des conseillistes et naturellement de la révolution espagnole, on voit très vite tout le profit que le lecteur pourrait tirer d’une telle démarche. Avis aux amateurs.

Pierre-Henri Zaidman, Le mandat impératif, de la Révolution française à la Commune de Paris, éditions Libertaires, 90 pages. 12€.

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