Perdu dans un supermarché

Perdu dans un supermarché

Il y a des gens qui ne respectent rien. Par jeu. Par principe. Aussi parce que c’est plus rigolo de n’en faire qu’à sa tête. C’est un peu ce que fait Basara. Il écrit comme il le sent. En ne s’embarrassant pas des codes. Il n’a aucune règle. Puisqu’il malmène les canons de la littérature. Il vit dans l’absurde. Et construit une œuvre iconoclaste. C’est un fou. Un génie. Un pourfendeur de morales. Un contestataire de l’ordre. Un éprit de liberté. Il va au bout de ses idées. Et le lecteur n’a qu’à bien se tenir.

Oui, tenez-vous bien s’il vous plaît. Nous ne sommes pas là pour nous ennuyer. Ces nouvelles regorgent de trouvailles. Les personnages sont allumés. La poésie est une soie qui habille les pages. La musique est foisonnante. Les détails croustillants … Quel rapport entre une montre qui s’arrête ? Un certain Gruber qui bouscule un homme en entrant à la poste ? Une jeune femme tuée (mais à quelle heure ?) qui parle au narrateur ? Le ressort de la dite montre qui jaillit à l’ouverture du boîtier pour frapper la future victime (donc encore vivante) au cou ? etc. Rien. A première vue. A la lecture c’est une autre histoire. Le burlesque chasse l’autodérision. A moins que ce ne soit le fantôme de Ionesco qui s’invite dans l’éther du lieu. La narration est souple. On se croirait dans un bois à faire son footing. On dévore les lignes, les pages, les histoires. On s’emballe. On s’emballe …

Cette histoire d’une chute avec interventions paranoïaques est une merveille. On se croirait au théâtre. Ou dans un one-man-show. Le narrateur tombe de la tour Eiffel. Mais se rend vite compte qu’à cette vitesse la chute sera fatale. Alors il intervient dans le récit. Il s’adresse au correcteur. Il biffe. Il rature. Il corrige. On nage dans le n’importe quoi, sauf que. Ici, c’est tellement bien écrit. C’est si finement construit que l’on marche à fond. On se prend à y croire. On se laisse prendre par la main. C’est cela tout le talent de monsieur Basara.

Il y a de tout dans ce livre. Photo. BD. Partition musicale. Dialogues désopilants. Et un ton, surtout. Une narration enlevée. Des idées délirantes. Des histoires tirées par les cheveux qui deviennent des contes merveilleux. Cette écriture magnifique n’est qu’un jeu. Pour l’esprit. Pour le ventre. Un jeu pour rire. Un jeu pour réfléchir en riant. Un jeu pour se dédouaner de la chape de plomb qui nous écrase quotidiennement. Basara est serbe. On se dit alors que l’âme slave a de beaux jours devant elle. Et on aime y reconnaître cette sempiternelle légèreté. Si bien amenée à nos cœurs par Milan Kundera voilà longtemps. Si magnifiquement reprise par ce génie du mot juste. Ici, le faux est vrai. Le vrai n’est pas certain. Seule certitude : plaisir de lecture garanti !

Svetislav Basara, Perdu dans un supermarché, traduit du serbe par Gojko Lukic, 178 p. – 16,00 €