Sexe et utopie

Sexe et utopie

Pat Califia, devenu Patrick Califia, née dans une famille mormone, a fait son coming out en tant que lesbienne à Salt Lak City en 1971 ; en 1999 il opère une transition : de la lesbienne nous passons au transsexuel ! Il travaille depuis comme thérapeute privé à San Francisco et est reconnu comme un des tout premiers spécialistes internationaux des questions sur le sexe et le genre.

Si nous replaçons les textes de ce recueil dans leur contexte, de la fin des années 1970 au début 2000, on comprend que chacun d’entre eux est un témoignage très éclairant, qui fait partie intégrante de l’évolution historique du mouvement des minorités sexuelles. Croisant expérience vécue et recherche sociologique, c’est en les chahutant sans réserve, en livrant les plus infimes détails et avec une réelle délivrance que Califia nous offre ses descriptions lucides des contradictions de certaines pensées féministes.
Ainsi il nous livre sans compromis ce qui rend l’humain sans âme, ce qui fait de l’individu le simple maillon d’un système moraliste et obscurantiste.

En se dévoilant dans une écriture sans édulcorant, en utilisant des termes crus, en explicitant des relations intimes, Califia prend parti de dédramatiser la sexualité et, comble de l’incroyable, arrive à la force de sa plume à ne pas choquer le lecteur ni le rendre voyeur …
Grâce à son éloquence et sa volonté de se garder de tout jugement, c’est également avec un certain humour que Public Sex (son titre en américain) plonge au tréfonds de nous- même, nous interrogeant sur notre propre relation à autrui, notre propre logique et évidemment notre propre perversion.

Cette introspection invite le lecteur à concevoir les choses sous un nouvel angle, à s’ouvrir à une dynamique nouvelle, celle du souci de soi et du libre-arbitre, en ne cautionnant plus implicitement l’oppression et en se libérant du conformisme.
Nous sommes tous responsables de la perpétuation du racisme, de l’homophobie et des autres formes de domination. Si le langage de Califia est fluide, ses arguments, eux, sont d’une logique implacable tout comme son éthique est impressionnante.

"En fait, l’excès sexuel a une valeur intrinsèque et une signification spirituelle qui en fait un élément vital de l’expérience humaine." Car, dans un monde mené à la déraison par le mercantilisme associé au matérialisme, lesquels provoquent une détermination perverse à ne chercher du sens et de la valeur iniquement dans les choses temporelles, nous paraissons totalement déboussolés quand nous suivons la voix de l’Esprit. Car le désir a fait partie de notre nature, non seulement pour nous rapprocher les uns des autres, mais surtout pour nous pousser vers notre source et notre lieu de repos ultimes.
Malgré notre mortalité, la chair est la seule voie possible pour entrevoir l’éternité. Désirer que quelqu’un nous touche est notre première protestation contre la solitude existentielle qui, inexorablement, mène la conscience humaine … Et quand nous protégeons les désirs des uns et des autres, même ceux qui sont étranges et dégradants, nous empruntons une petite grâce divine et apportons une plus petite version de la protection de cet amour transcendantal … "L’homme qui se prépare avec un baudrier ou dans une baignoire, attendant d’être recouvert de Crisco ou de pisse, est rempli d’un amour et d’une confiance totales, pareil à un enfant attendant d’être baptisé."
Le désir peut être un sacrement qui nous lave de notre jalousie, de notre orgueil et de notre anomie ; en cela il nous ramène à la vie quotidienne, le cœur satisfait, l’espoir renouvelé et avec une plus grande compassion.

Pat Califia, Sexe et utopie, traduit de l’américain par Patrick Ythier, préface d’Armand Hotimsky, coll. "L’attrape-corps", La Musardine, avril 2008, 194 p. – 14,50 €