La Grande Eclaire

La Grande Eclaire

De son autre nom, chélidoine, cette plante, dont on peut administrer à un individu son essence, possède de drôles de vertus. Un détail qui aura son importance dans cet envoûtant livre poétique et didactique qui s’achève en apothéose à l’exacte dernière phrase. Après le remarqué Sabliers du temps, le deuxième roman de Virginie Langlois est à classer – à coup sûr – dans le top 10 de l’année !

José Carlos Somoza a donc une petite sœur, née dans le Var voilà une quarantaine d’années, qui vit bien tranquillement loin de nos cités sales et bruyantes, sur sa presqu’île natale, face à la rade de Toulon. Ce livre enchanteur vient se placer en miroir de La théorie des cordes et de La Dame n°13. En clin d’œil du premier pour son remarquable univers imprégné de physique et d’espace-temps ; en réponse du second pour toute la poésie qui filtre, soit directement dans un style aérien et imagé dès les premières pages, soit dans l’évocation précise et intime de la vie d’une jeune aveugle.

Tout part d’une rencontre, fruit d’un hasard qui n’existe pas, sur le bord d’une plage de Sanary, entre un peintre au faîte de sa gloire, Sachs Given, et une sublime rousse au corps diaphane de naïade. Un dialogue épuré pour évoquer l’essentiel, ce coucher aux mille facettes que les touristes abrutis de soleil ne voient pas. Dégradés des couleurs, émotions des formes, volumes encycliques dans les strates atmosphériques … Un rendez-vous pour le soir est pris, la belle viendra-t-elle au vernissage du peintre ?
Certes oui, elle viendra, mais au bras d’une amie car Sachs, trop imprégné de son désir, n’a pas perçu la cécité du fruit de ses pensées. Après une leçon de sensibilité qu’Alessandra donnera à Paul, l’agent de Sachs, évoquant les tableaux comme si elles les voyaient ; elle donnera rendez-vous à l’artiste au Casino, tard dans la nuit. Il l’y rejoindra, découvrant alors que la jeune femme semble avoir l’emprise sur les chiffres : elle gagne partie sur partie à la roulette, amassant une petite fortune …

A-t-elle un don ? Ou maîtrise-t-elle une dimension que nous ne connaissons pas encore ? Car il est désormais très clair qu’il n’y a pas de cause sans effet, pas de transmission d’information sans support. Les dernières théories de la physique ne sont pas loin de mettre en évidence les relations entre l’esprit humain et les manifestations physiques, mais il manque une clef, il a toujours manqué une clef. A moins qu’Alessandra …

Un peu plus à l’ouest, presque au même moment, Greg, l’assistant du professeur Nicholls, se morfond en regardant sa montre : les cours vont reprendre incessamment et l’universitaire est encore en retard, sans doute en train de dessaouler, derechef … Mais la visite de deux agents de la NSA lui laisse très vite penser le contraire. Ni tenant plus, il ira relever ses mails et découvrira un message abracadabrant en provenance de Paris, censé être émis par une ancienne élève du campus … Ni une ni deux, il fait ses valises pour … Montréal.

Alors la machine s’emballe, le style se fait plus concis, les événements s’enchaînent : l’on passe d’un chapitre l’autre, d’Alessandra à Greg, sans prendre le temps de respirer, la lecture est intense, l’émotion au rendez-vous. Tout cela sur fond de démonstrations scientifiques qui glacent le dos ou font rêver, selon le domaine que Virginie Langlois aborde. En ingénieur de formation qui a mené une réflexion philosophique sur le fonctionnement quantique des mécanismes, elle nous assène quelques belles démonstrations avec un rare talent de vulgarisateur qui nous permet de ne pas nous noyer dès la deuxième ligne. Entre humour (le chat de Schrödinger) et histoire (les travaux menés par les soviétiques en kinesthésie), nous en apprenons bien plus qu’en un cycle universitaire, le plaisir en sus …

Voilà donc un bel exemple de ce que peut être la littérature quand elle s’offre au devoir d’humanité : offrir du plaisir en affranchissant le lecteur dans un domaine réservé, et souvent ignoré, qui nous ouvrira, demain, de nouveaux horizons … Donc, un livre essentiel.

Virginie Langlois, La Grande Eclaire, coll. "Domaine français", Actes Sud, avril 2008, 349 p. – 21,00 €