Non !

Non !

« Le média médiateur ou normalisateur » était le thème de la rencontre du 6 mai dernier entre Hamou Bouakkaz, président du collectif Le Sens des Autres, et adjoint au Maire de Paris chargé de la Démocratie Locale et de la Vie Associative et Frédéric Vignale, artiste multi faces et fondateur du journal online Le Mague.

Alors que deux parcours de vie se rejoignaient, que dans les différences ressortaient les similitudes, un « non ! » s’est élevé, ou ce que je résumerai comme tel.
Un « non ! » qui fit peut-être se glisser dans l’esprit de certains un « dommage ». Dommage qu’une si belle concorde discorde, qu’un accord trouvé dissone, qu’un mouvement soit contrarié dans son élan.

Et pourtant non, pas dommage.

Car ce « non », critique, contestataire, prononcé d’abord par André Fertier, président de l’association Cemaforre, portail de l’accessibilité des loisirs et de la culture, puis par Vignale, en défense, repris par Martine Gaudy, en contre attaque, de l’association du Syndrome de Rett, posait simplement toute la complexité de la question du handicap et la difficulté de l’appréhender sans que les idées et les réalités de chacun s’entrechoquent.
Jusqu’à quel point dire quelque chose de l’ordre du « je me sens moi-même quelque part handicapé » pour dire « je me sens proche du handicap » est-il acceptable pour qui côtoie le handicap de près ?
Jusqu’à quel point peut-on reprocher à qui ne s’y frotte pas quotidiennement d’ignorer la souffrance qui jalonne tout parcours en prise directe avec le handicap, de ne pas mesurer la différence qui existe entre celui qui a choisi la différence quand d’autres la subissent ?
Jusqu’à quel point s’étonner de la réaction de ceux qui accompagnent les personnes handicapées et qui combattent chaque jour l’inertie des systèmes, illustrée entre autres par la quasi absence d’échos sur le sujet dans les médias ?

L’intention de la personne « valide » désireuse de gommer la différence pour manifester son intérêt pour le problème, son empathie pour la personne atteinte par un handicap, frôle le risque de déni. Ce risque est plus présent dans l’air ambiant depuis la loi du 11 février 2005 qui pousse en avant cette idée que nous sommes tous potentiellement des handicapés ; le législateur a dû se dire que c’était la seule façon de faire se bouger les normaux que nous avons soi-disant la chance d’être. Comme si la seule perspective de sortir des clous au sens figuré, parce que justement on aura par exemple et par inadvertance un jour marché en dehors des clous au sens propre, devait nous inciter à nous impliquer davantage.
Le reproche formulé par les combattants du handicap ou les personnes handicapées elles-mêmes peut transformer l’empathie des « ignorants » en crainte de mal faire, renforcer leur peur d’avancer en territoire inconnu.
Je ne crois pas une seule seconde à la culpabilisation comme moteur efficace, j’irais même plus loin, je dirais qu’il ne faut pas s’effaroucher de la peur et du rejet que provoque parfois le handicap, ne pas craindre de faire faire un petit tour de manège à nos démons : ça me fait peur, je suis mal à l’aise, etc., parce qu’une fois qu’ils sont dehors ces empêcheurs d’accepter, de comprendre et d’agir, ils laissent la parole à d’autres parties de nous, plus indulgentes pour nous-mêmes et pour autrui, qui expriment alors un "je ne sais pas, dites-moi, apprenez-moi comment faire".

Paradoxalement, le handicap, aussi compliqué qu’il soit, oblige à faire simple, à aller à l’essentiel. Et l’essentiel, c’est ce qui permet à tous de vivre, car, comme l’écrit Charles Gardou dans « Fragments sur le handicap et la vulnérabilité » – un livre que j’ai envie de mettre entre toutes les mains depuis que je l’ai lu –, « notre identité n’est aucunement menacée par la présence de nos pairs en situation de handicap ». Parce que « la dignité ne se conçoit que pour tous ; sinon, elle n’existe pour personne […] elle n’est jamais acquise dans la solitude, mais dans le vivre-ensemble. En rentrant avec l’autre dans une relation de proximité, je le reconnais comme mon semblable ».

Il fallait que ce « non » se dise, pas un « non » têtu qui refuse l’obstacle, mais un « non » déterminé qui se lève pour agir. Car du handicap – véhicule de tant d’images négatives comme la limitation, la finitude, l’enfermement, l’exclusion, l’immobilisation – naît toujours un mouvement, et chaque geste, du petit pas au trébuchement en passant par la maladresse, l’erreur, vaut son pesant d’or.
Il fallait qu’il se dise aussi pour rappeler qu’il faut faire attention aux mots, même s’il ne faut pas buter sur eux, sauf pour museler les odieux.

Trois lettres qui disent ne nous arrêtons pas aux mots. Action, avançons, avançons.