La femme sera-t-elle (enfin) l’avenir de l’homme ... musulman ?

La femme sera-t-elle (enfin) l'avenir de l'homme ... musulman ?

Je sais, j’ai des relations. J’entends déjà les mauvaises langues. Mais je n’y peux rien si maman a usé ses fonds de culotte de jeune fille sur les bancs de l’Ecole Supérieure d’Architecture, boulevard Raspail, à Paris, avec une petite jeune qui allait devenir impératrice d’Iran. Alors avant de m’envoler pour Beyrouth courir tout mon saoul après le chronomètre et l’amitié de mes frères, j’ai usé de mon mobile Sony pour me faire ouvrir les portes du salon V.I.P. de l’aérogare de Roissy. J’ai ainsi pu féliciter la première musulmane nobélisée, avant son retour au paix. Ne vous en déplaise …

Elle est en retard. L’avion a été immobilisé en bout de piste, on le rappellera à son satellite quand tout sera rentré dans l’ordre. Car la folie règne à Roissy.
Service d’ordre dépassé, embouteillage en règle, cris, mouvements de foule. La meute de journalistes a suivi depuis le passage de la Main-d’Or, à côté de Bastille, qui en moto, qui en voiture, pour vivre les dernières heures de Shirin Ebadi sur le sol français.
Elle avait reporté son voyage de quelques jours à l’annonce du prix venu de Norvège, appris en voiture se rendant - déjà - à Roissy. Cette avocate iranienne de 56 ans s’était retrouvée sous les feux de la rampe en l’espace de quelques heures. Pas facile à vivre, qui plus est quand on n’est pas dans son pays …
La Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme lui avait ouvert ses portes pour faire salon, et recevoir la presse. Quarante huit heures non stop de questions et de réponses, de félicitations et d’éloges. Pas facile de faire face quand d’aventure vous êtes bombardée Dame de l’Année alors que vous ne savez même pas que vous êtes dans le jeu …
Et surtout ne pas regarder dans le rétroviseur, trop de fantômes, trop d’icônes : Martin Luther King, Nelson Mandela, Mère Teresa, Aung San Suu Kyi …

Elle est pimpante, escortée de sa cadette, vêtue d’un ensemble bleue qui l’illumine plus encore, comme si cela était possible. Elle flotte sur le parquet et vient me saluer dans un très beau français pétillant d’orientalisme et baignant de soleil. Elle me fait un petit signe de la main et continue sa phrase dans sa langue maternelle, Marjane Strapi me fait la traduction simultanée.
J’ai donc en face de moi la première femme de confession musulmane honorée à Oslo. Enfin les clivages volent en éclats et s’effacent les mauvais génies qui n’arrêtaient pas de critiquer les palmarès du Nobel de littérature : exit Stétié et Adonis, sous le prétexte qu’ils sont arabes et musulmans, alors que les rumeurs les donnaient vainqueurs depuis des années. Stockholm plus frileuse qu’Oslo ? Querelle de clocher. L’important est ailleurs. Dans le soutient sans faille que nous devons tous apporter au combat des militants pour la démocratie, et pas seulement en Iran, mais dans tout le monde musulman. Et dans le combat pour la réhabilitation de la femme dans tous les pays du Sud.
Shirin Ebadi le sait mieux que personne, elle qui a été la première femme nommée présidente du tribunal de Grande Instance de Téhéran en 1974, puis chassée par les ayatollahs. Elle est alors devenue avocate par défaut, si j’ose dire, dans le cabinet de Karim Lahidji, encore bien heureuse de ne point croupir dans les geôles nauséabondes des fous de Dieu. Sinistres prisons qu’elle connut en 2000, pendant vingt-cinq jours, au secret, pour avoir osé aider des intellectuels emprisonnés. Puis la pression internationale modifia un peu la donne, commuant la peine en une simple amende : épisode de sa vie qui démontre les atermoiements qui agitent le sommet du pouvoir iranien. Les réformateurs et les conservateurs se livrent à une guerre fratricide qui utilisent les intellectuels et les militants comme les pions d’un jeu d’échec trop grand pour eux.

« Cette distinction me réconforte, me dit-elle. Elle vient me démontrer que j’ai fait le bon choix. Que je dois encore et toujours défendre les militants des droits de l’homme. Et les femmes de mon pays. Toutes les femmes. Ce prix me donne du courage, une nouvelle force pour aller affronter les murs de l’obscurantisme qui se dressent encore entre les Hommes. »
Shirin Ebadi connaît parfaitement la religion musulmane et la vie qui devrait en découler. Elle participa à la révolution islamique et était persuadée que la révélation de la vie cornique serait un bienfait pour son pays. Elle qui militait au Front national, formation interdite de tendance libérale proche de Mossadegh, le Premier ministre renversé en 1953 par le Shah d’Iran (et nos toujours très appréciés et néanmoins amis, les Américains. Les mêmes à qui l’on doit la chute du Shah et l’arrivée des fondamentalistes … Merci qui ?).

En cinq ans le rêve fut mis à mal : la société civile instaurée par les mollahs s’éloigna diamétralement des aspirations de la jeune femme.
Elle n’aura de cesse de se battre contre la loi iranienne qui est très défavorable aux femmes, m’avoue-t-elle entre deux gorgées d’un Vittel-menthe que sa fille lui a préparé parmi les verres et les bouteille que les hôtesses nous ont apportés. En Iran, un homme a tous les droits : avoir quatre femmes, divorcer dans l’instant, avoir la garde des enfants, etc. Sans parler des affaires d’héritage, de l’obligation qu’à une femme qui veut un passeport d’en faire la demande écrite à son mari … et des châtiments corporels : amputations, lapidations …

L’Iran est un pays moyen-âgeux : malgré la richesse de son pétrole et de certaines de ses villes, sa population est encore ancrée sur des idéaux révolus, et le pays souffre d’une trop grande pauvreté. Je m’amuse à la taquiner sur l’absence du sacro-saint foulard que la République islamique d’Iran impose à toutes les femmes, ce qui n’amuse en rien sa fille qui se renfrogne soudain. Je lui demande si elle ne risque rien à se montrer ainsi. Shirin sourit et me répond « non » en français. Seuls les fonctionnaires sont soumis aux lois intérieures du pays …
Je lui demande si elle se voit alors investie du rôle de porte-parole des femmes musulmanes, et si elle les conduira vers la liberté. Trop tôt pour le dire, mais elle me rappelle que 63% des étudiants des universités sont des femmes et, bientôt, celles-ci représenteront les deux tiers des diplômés. En toute logique, le mouvement de libération de la société iranienne est inéluctable. « N’oubliez jamais l’impatience de la jeunesse, me glisse-t-elle à l’oreille, c’est un facteur trop souvent ignoré. Les jeunes n’attendent pas. »
Auréolée de son prix, elle ne risque sans doute plus rien. Mais c’est à double tranchant cette histoire. Ce ne sont pas les 1,3 million de dollars décernés par Oslo (et qui seront très vite investis dans ses causes humanitaires) ni le titre qui la protégeront d’un durcissement du régime. Les généraux birmans nous le prouvent tous les jours. C’est donc au monde entier de veiller sur elle.

Un petit groupe de messieurs trop bien habillés se dirige vers nous. Je sens qu’il faut que je m’éclipse. Bruits d’étoffes, senteur d’épices, un fragment de lumière qui se reflète sur la table en Formica et elle n’est déjà plus là. Le tourbillon de la vie me l’a enlevée.
Prends bien soin de toi Shirin Ebadi. Qu’Allah te protège …