Abreuvons nos sillons

Abreuvons nos sillons

Ca craint dans les cités ! Parole ! Vois z’y ce que ce bâtard de Cissé y fait. Non, z’y pas le cul d’jatte de l’OM qui a les pieds carrés. J’entends le héros tout black de Kali. Kali ? Sander Kali, un nouveau dans les Lettres. Un prof de 37 piges qui cause pour toi, môme. Parfaitement, il raconte des histoires. Et voici son premier roman. Que du neuf !

Amis du Monde des livres, passe ton chemin. Académiciens, glandus des jury mielleux de prix casse-noisettes, oubliez nous. SVP. Pas ici, pas pour toi. T’es pas dans l’coup, mec ! Ici on parle du vécu, c’est tout chaud. C’est pas écrit dans la norme. C’est pas de la lèche pour le Goncourt. C’est vivant. Cela pue. Cela fait rire. Et pleurer. C’est la vie, mec, c’est fort, c’est violent. C’est injuste, aussi ! C’est noir. C’est hard !

Tout commence … mal. Cissé en prend plein la gueule. Ce jeune black deuxième génération est dessoudé. Une mutinerie en taule. Le voilà qui est lynché. Encore la faute à pas d’chance. Cissé s’est mit du mauvais côté : il a voulu protéger le directeur. Va savoir ce qui lui est passé dans la tête. Et puis cette chaleur. Ca rend dingue. Ca rend fou … Nous sommes en l’été 2003. Canicule. Et la prison n’a pas la clim ! Mutinerie, non mais, crevards, soit, mais au frais. Pardon. Donc prise du pouvoir. Mutinerie ! Et qu’y gagne-t-il le Cissé ? Rien. Une fois de plus il a pris la mauvaise décision. La plus mauvaise idée de sa vie. Sauver un être humain. Mais quelle idée !

Mais de quelle vie parlons-nous ?
Flash back. Le roman repart. On va savoir pourquoi Cissé n’a vécu que dans la violence. On le retrouve dans la zone 16-18 ans. La période où il est un monstre. Où il entend une voix dans sa tête. Sa conscience ? Le remords ? Ou bien Allah ? Ne manquait plus que lui, tiens … Et Cissé, en bon élève, y répond, à cette voix. Même si Elle l’amène souvent à commettre le pire. Pour oublier. Qu’il est un bâtard. Que son quotidien se passe entre les assistantes sociales. Quand il n’est pas au lycée de Vitry, il fait le malin sur le parking d’Atac. Quel destin de choix. Et ne parlons pas de sa famille, de "pauvres nègres" légèrement dépassés …

Cissé s’invente un amour. Puis y croit. Tombe raide dingue d’une monitrice de colonie. Miss Baudricourt. Mais irait-elle frayer avec un noiraud, elle la Blanche ? Où est donc cette mixité vantée à l’école et jamais appliquée dans la vraie vie ? Cissé n’en peut plus. On lui raconte des conneries dans ce lycée pourri. Il s’immolera devant son prof de français. Histoire de faire quelque chose d’autre que d’étudier Le Cid. C’est quoi encore cette histoire de distinction entre sang pur et impur ?!

Cissé devient alors différent. Son visage parle pour lui. Sa peau fripée comme du chewing-gum cramé l’oblige à se dissimuler sous une capuche. Et des lunettes noires. Mais derrière le masque, l’homme hurle. Jusqu’à sa mort sous un escalier de prison en flammes, il ne renoncera pas. Il persistera, au contraire ! Il criera à la face du monde sa Vérité. La Voix l’accompagne. Elle déroule sa vie comme une vague. Elle emballe le roman. Elle pétrifie le lecteur …

Skander Kali, Abreuvons nos sillons, coll. "la brune", Editions du Rouergue, mars 2008, 1776 p. – 15,00 €