Un pianiste vu de dos … passionnément

Un pianiste vu de dos … passionnément

Quand une rencontre, au hasard d’un déplacement professionnel, chamboule votre vie, c’est signe que la passion n’est pas loin. Alors fuyez … Sinon, à l’image de Paule, vous sombrerez dans la plus délicieuse des dépendances : le sexe.

Catherine Mézan a travaillé de nombreuses années pour le Festival de piano de la Roque-d’Anthéron, où elle réside. Nul doute qu’elle y a pioché toutes les petites touches de sensualité musicale qui habillent ce premier roman. Emmené par un style clair aux phrases courtes, il dresse deux portraits, un homme et une femme, qui jouent à se séduire pour mieux se donner l’un à l’autre, comme si le désir poussait leur corps à fusionner au mépris affiché de leur âme qui balaye toute retenue, toute norme, code, morale … car l’essentiel est de pouvoir apaiser cette soif, étancher cette pulsion animale … Oui, au-delà de l’amour, dans une sphère inconnue qui n’a rien à voir avec les sentiments, se joue le drame de la passion charnelle. Toutes les barrières cèdent, plus rien n’est cohérent, ni dans le comportement ni dans l’attente ; seul le corps brûle de désir et n’aspire qu’à être délivré …

Paule, comme les autres, en acceptant cette pige pour un grand magazine musical, tombera dans le puits de la passion. Faire le portrait du pianiste Juan Josseran semblait une belle idée, d’autant qu’il avait accepté de la recevoir à l’occasion d’un récital qu’il donnait dans un festival, en province, dans une propriété magnifique, en bord de Méditerranée. L’été offrait de belles journées. Mais dès que Paule pénétra dans la salle de répétition, dès qu’elle vit Juan, de dos, les yeux fermés, les mains dansant sur les touches d’ivoire, son estomac se vrilla et le sol s’ouvrit sous ses pieds …

Malgré deux fortes personnalités, les jeux sont faits. Pour donner le change, nos deux héros tentent un baroud d’honneur et laissent le temps imposer ses caprices, mais ils ne sont pas dupes. Conscients de leur sort, ils subiront les assauts de la libido. Une caresse, un regard, une voix au téléphone, un rendez-vous coquin dans un hôtel, une escapade alors que le concubin n’est pas loin, toutes les palettes de l’adultère seront utilisées pour déjouer cette influence, en vain. Paule tentera bien de s’extraire de cette spirale, mais elle débouchera sur une surprise de taille.

Car les amants réunis ne peuvent être séparés, même par la peur. L’envie de l’autre est la plus forte. D’un regard ils se trouvent sans se chercher, sans penser à ces corps qui jaugent leur propre désir. Car ils ont des prétentions. Les amants doivent se soumettre. Et alors, enfin, "seuls ensemble, ils deviennent ensemble, un seul ensemble. Corps perdus l’un dans l’autre, éperdus l’un de l’autre" …
Dans une langue réinventée, Catherine Mézan cisèle à merveille les mille aiguilles qui agressent corps, cœur et âme et parvient à nous rendre une musique sans pareille … Elle dépeint l’exact solitude de l’amante emprisonnée dans sa passion, prison dorée aux mille supplices, interdite de confidence et accrochée à attendre. Silencieux, le lecteur ira, lui aussi, vers ce pays doux où le corps ploie et sombre dans le miel pour ne plus jamais avoir peur …

Catherine Mézan, Un pianiste vu de dos, coll. "un endroit où aller", Actes Sud, mars 2008, 185 p. – 18,50 €