Petit panthéon portatif

Petit panthéon portatif

Quand un philosophe évoque ses maîtres. Voici un petit traité de la mémoire philosophique. Humaine. Culturelle. Indispensable pour qui s’intéresse un tant soit peu à Althusser, Borreil, Canguilhem, Cavaillès, G. Châteler, Deleuze, Derrida, Foucault, Hyppolite, Lacan, Lacoue-Labarthe, Lyotard, F. Proust et enfin Sartre.

Mais ici point d’oraisons funèbres. De la gaieté que diable ! Nous voyageons dans une période de l’histoire fameuse. Le fait qu’ils soient tous morts ne doit pas faire oublier le but de ce recueil. Car la philosophie ici appelée à se souvenir doit servir à éloigner le calice des passions tristes. Et à nous enseigner que la pitié n’est pas un affect loyal. Et encore moins la victime ce à partir de quoi nous devons penser. Au contraire ! Suivons Platon et œuvrons pour le Vrai. Et n’oublions pas que l’animal humain, comme nous l’a rappelé Rousseau, est essentiellement bon. Sauf quand il ne l’est pas (sic). Mais dans ce cas, alors, il faudra aller chercher la cause extérieure qui l’y contraint. Cause qui doit être détectée, combattue. Et détruite. Et cela dès que possible, sans la moindre hésitation ! L’animal humain n’est pas malfaisant. Pour dire cela il faut vouloir le domestiquer. En faire un salarié. Un esclave au service de la circulation des capitaux. Un consommateur déprimé …

Oui, l’homme est bon. Il est capable de créer dans divers mondes des vérités éternelles. L’homme détient en lui-même l’ange dont les religions voulaient le doubler. C’est bien cela qu’enseigne depuis toujours la philosophie, à proprement dite.

Mais pour que cet ange s’affirme, il faut tenir compte d’un principe, un seul. Décliné sous de multiples formes. Si bien résumé par Mao : Rejetez vos illusions, et préparez-vous à la lutte.
En effet, la règle numéro un (puisqu’il n’y a pas de règle numéro deux) est bien celle-là. Tenir le vrai contre l’illusoire. Quelques que soient les circonstances. Combattre plutôt que se rendre.

Il faut donc s’armer contre les imposteurs. Car, aujourd’hui, l’on regroupe sous le vocable de "philosophie" un grand nombre de supercheries. Car le mouvement insufflé par le Libéralisme serait plutôt : cultivez vos illusions et préparez-vous à capituler ! Cela s’est traduit par l’arrivée de magazines dans lesquels la philosophie est comparée à la médecine douce (sic). Pour rester en forme, faîtes donc de la philo. Entre deux footing … On a même vu des philosophes déclarer que le Bien étant inaccessible, voire criminel, il fallait se contenter de lutter pied à pied avec nos amis yankees … contre diverses formes du Mal. Dont le plus petit dénominateur commun est, au hasard (!), arabe, islam voire communisme.
Plus grave, on a vu ressusciter les "valeurs", dont la philosophie aidait depuis toujours à nous débarrasser, comme l’obéissance (aux contrats commerciaux), la modestie (devant l’arrogance des histrions de la télé), le réalisme (hé oui, il faut des profits, donc des inégalités !), l’égoïsme complet (baptisé individualisme moderne), la supériorité coloniale (les bons démocrates de l’Occident contre les méchants despotes du Sud), l’hostilité à la pensée vive, le culte du nombre (la majorité est toujours légitime), etc. etc.

Il fallait donc faire quelque chose pour dénoncer cette prostitution permanente des mots "philosophe" et "philosophie". Rappelons que depuis 1976 – et dénoncée en son temps par Deleuze – la production purement médiatique du syntagme "nouveaux philosophes" a fini par nous accabler …
Car si l’on continue, après l’hérésie des cafés-philo (dignes héritiers des cafés du commerce ?) on finira par verser dans de philosophiques commodités.

Ainsi donc, Alain Badiou nous propose de remettre les pendules à l’heure. Une manie que la Fabrique éditions a érigée en signature, et nous lui en sommes grées. Car il est grand temps de dire haut ce que beaucoup pensent tout bas …
Oui, insiste Badiou dans son Ouverture, il convient de rappeler ce que c’est qu’un philosophe. De le rappeler par l’exemple de ceux, plus nombreux qu’ailleurs, qui, en France, assumèrent la portée de ce vocable dans les dernières décennies. Il faut les appeler à la rescousse pour nettoyer et faire à nouveau briller les mots au nom desquels ils ont difficultueusement, et dans une grande tension de la pensée, proposé d’accepter inconditionnellement qu’il faille trouver au moins une Idée vraie et ne jamais céder sur ses conséquences, même si, comme le dit Mallarmé à propos d’Igitur, cet acte que nul ne réclame "est parfaitement absurde, [sauf que] l’Infini est enfin fixé."

Sont donc convoqués Althusser, Borreil et Cie comme témoins à charge du procès intenté par l’Infini aux falsificateurs. Ils viennent rappeler que l’impératif du matérialisme démocratique contemporain, "Vis sans Idée", est à la fois vil et inconsistant.

Alain Badiou, Petit panthéon portatif, La fabrique éditions, février 2008, 175 p. – 10,00 €