Algérie : Le cri de détresse des enseignants vacataires

Algérie : Le cri de détresse des enseignants vacataires

Les enseignants vacataires de l’université algérienne lancent un cri de détresse pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur « la marginalisation et l’exclusion » dont ils se disent victimes. A entendre leurs témoignages, la réglementation actuelle en vigueur ne leur accorde aucun statut. De cette situation, il en ressort une grande précarité qui les frappe de plein fouet. Certains d’entre eux assurent des vacations depuis plusieurs années dans les centres universitaires sans jamais être « permanisés ».

En assurant jusqu’à 12 heures de cours par semaine dans les établissements universitaires, les enseignants vacataires peuvent représenter, dans beaucoup de facultés, jusqu’à 80 % de l’effectif de l’enseignement supérieur. Mais, malgré cela, ils continuent à percevoir un salaire « dérisoire » et demeurent plus que jamais exposés au besoin. En effet, il faut savoir qu’un enseignant vacataire, titulaire de licence, ne touche guère plus que 175 DA par heure. Par contre, s’il est titulaire d’un magister, il a le droit à 575 DA par heure. Cependant, leur salaire, réglementation oblige, ils ne peuvent le toucher qu’à la fin de l’année. Dans certains centres universitaires, ils perçoivent leur salaire qu’une fois par trimestre.

Universitaires de seconde zone

« Nous sommes traités comme des universitaires de seconde zone par l’administration. Nous n’avons droit ni à une bourse d’étude ou de recherche, ni à des stages à l’étranger, ni à une couverture sociale », lance, avec désarroi, C. Meziane, 30 ans, qui enseigne depuis plus de 5 ans en tant qu’enseignement vacataire au département de français de l’université de Blida dont les enseignants vacataires représentent plus de 40 % de l’ensemble de ces enseignants.

« Avec les vacations, on ne fait que subsister. On ne perçoit d’ailleurs nos indemnités qu’à la fin de chaque année et, souvent, on doit patienter des mois durant pour avoir nos rétributions », ajoute encore notre interlocuteur. M. Lamia exerce également depuis plus de 8 ans à l’université en tant qu’enseignante vacataire au département d’anglais de l’université Blida, département qui compte à lui seul 80 % d’enseignants vacataires en son effectif, tout en regrettant qu’après toute cette longue période d’exercice, elle n’a pas réussi à décrocher un poste comme enseignante permanente.

« Il y a un déficit énorme dans toutes les universités en personnel enseignant mais au lieu d’ouvrir de nouveaux postes budgétaires pour les chercheurs doctorants, l’administration préfère recourir à la vacation pour combler le manque d’enseignants », expliquent, avec regret, nos deux interlocuteurs.

« Je travaille entre 8 heures et 12 heures par semaine. Je dispense des cours et des Travaux dirigés (TD) à 3 groupes différents. Je peux vous assurer que je travaille avec autant de sérieux et d’abnégation que mes collègues permanents. D’ailleurs, mes étudiants ne se sont jamais plaints de moi. Et malgré tout cela, 4 mois après le début de l’année universitaire, je n’ai pas encore perçu un centime ! N’est-ce pas la une injustice », s’interroge C. Meziane qui nous apprend par la même occasion que son salaire ne dépasse en aucun cas les 25000 DA par trimestre. Ce qui est, de son propre aveu, loin de le mettre à l’abri du besoin. « A l’université de Blida on peut au moins avoir un salaire chaque trimestre. A l’université d’Alger, on ne peut le percevoir qu’à la fin de l’année, soit maximum 70.000 DA par an. Dans ce contexte, je suis bien obligée de travailler ailleurs en parallèle. Il m’est arrivé ainsi d’enseigner dans des lycées, des écoles privées et même des écoles primaires pour tenir le coup. C’est vraiment infernal. Pourquoi on ne nous paie pas comme tout le monde ? », s’écrie de son côté L. Massiva qui enseigne en tant que vacataire depuis maintenant 6 ans à l’université de Bouzaréah.

Concernant les concours de recrutement des enseignants universitaires, les concernés dénoncent le « diktat » de l’administration qui choisit, selon leurs propos, les candidats retenus sans se soucier ni des notes obtenues, ni des décisions du conseil scientifique. « Le recrutement des nouveaux enseignants est décidé, en premier lieu, par l’administration qui détient toutes les prérogatives. Nous avons passé, dernièrement, un concours de recrutement dans une université de l’Ouest mais nous avons été stupéfiés, le jour de l’affichage des résultats par le fait que la majorité des candidats retenus n’avaient même pas soutenu leurs magisters ! On a préféré des candidats qui avaient seulement des autorisations de soutenance au lieu de chercheurs doctorants avec des années d’expérience », regrettent certains vacataires.

« Tout n’est pas noir pour un enseignant vacataire »

A ce sujet, A.Ouardia, chef d’un département au niveau de l’université de Blida, nous apprend que le recrutement d’un enseignant universitaire doit passer par un concours qui prend en considération le volume des vacations assumées par un postulant. « Tout n’est pas noir pour un enseignant vacataire. Certes, le problème de budget de l’université et les contrôles financiers sont souvent à l’origine des retards dans le paiement des salaires. Mais, il faut savoir qu’un enseignant vacataire en poste graduation a beaucoup de chance d’être permanisé. Il suffit pour cela de passer un entretien lors du concours que le rectorat organisé désormais chaque année. Avec une bonne note au magister et un bon parcours universitaire, beaucoup de vacataires ont été recrutés en tant qu’enseignant permanent », relève-t-elle.

Contacté à ce propos, une source au niveau du ministère de l’enseignement universitaire, souligne que le recrutement dans les universités relève « d’une politique d’utilisation rationnelle des compétences nationales. »

« Il faut savoir que l’université algérienne recrute beaucoup contrairement à ce qu’on croit. Environ 2500 à 3000 recrutements par an. Cette moyenne correspond parfaitement à la moyenne des soutenances effectuées à l’université, à savoir 3000 soutenances de doctorat et de magister par an. C’est dire donc que tous les enseignants vacataires qui s’apprêtent à soutenir leur magister bénéficient d’une grande chance pour être recrutés juste après », explique à ce sujet notre source qui n’omet pas de rappeler qu’un enseignant vacataire licencié ne peut en aucun cas être recruté par l’université car la réglementation en vigueur l’interdit tout simplement.

Sur un autre registre, notre source tient à signaler que la présence élevée des enseignants vacataires dans certaines facultés et départements s’explique par l’existence de nombreuses filières déficitaires. « Les langues étrangères, les sciences commerciales et économiques ainsi que l’informatique demeurent jusqu’à aujourd’hui des filières déficitaires. C’est-à-dire que ces filières manquent terriblement d’un encadrement approprié. C’est pour cette raison que les universités recourent aux enseignants vacataires et associés, qui exercent souvent dans des lycées, pour assurer le suivi des programmes. Il faut savoir qu’après la décennie noire, le secteur universitaire s’est vu dépouillé de toutes ces compétences. Il n’est donc pas facile de remonter la pente facilement », explique-t-on au niveau du département de Harouabia.

Enfin, notre source signale qu’il existe des postes budgétaires dans nombre d’universités des Hauts Plateaux et de l’extrême Sud comme où les enseignants vacataires peuvent déposer leurs candidatures avec l’espoir d’une « permanisation ». Mais, en attendant, ces enseignants vacataires devront toujours attendre la fin de l’année universitaire pour empocher leurs dus.