Closerie des Lilas, ton univers impitoyable ...

Closerie des Lilas, ton univers impitoyable ...

Vous avez toujours rêvé de croiser Jean-Edern Hallier (alias Jean-Adam Rollier, dans le livre) ou Philippe Sollers ? Vous vous demandez ce qui peut bien se dire lors des dîners littéraires ? Vous enviez l’ambiance feutrée du restaurant de Montparnasse ?
Alors lisez « Le Code civil ».

Sylvie est une jeune fille dilettante.
Rien de mal à cela ; si ce n’est de la voir sans ambition. Mais à son âge c’est aussi le problème de nombreux jeunes gens. Elle a un CAP mais elle ne veut pas travailler. Ne serait-elle pas légèrement dépressive ? En tout cas, elle se laisse porter par la vie au lieu de mordre dedans.
Sylvie essaye de satisfaire sa mère et son père, séparés, et forcément elle déplaît à l’un ou à l’autre, successivement. Avec une préférence pour le père. Complexe d’Œdipe ?
Elle se lance dans la peinture pour faire plaisir à papa, pond une toile d’art conceptuel autour d’un mot stylisé après six mois d’effort. Le paternel en fait des cartes postales qu’il envoie à certains grands noms de la littérature parisienne. Bingo, le grand Rollier l’invite à la Closerie.

Les hommes, déjà passablement portés sur la chose, une fois réunis en bande, sont toujours en compétition : ils se pavanent et ordonnent, et la pauvre Sylvie, habituée à toujours baisser l’échine, à dire merci, se laisse faire. Pourquoi refuser ce qui semble tant leur faire plaisir ?
Ni pute ni soumise, Sylvie assume sa légèreté après deux ans d’abstinence. Pourquoi n’aurait-elle pas le loisir de ne pas choisir ? De baiser utile, en quelque sorte. Pourquoi ne serait-elle pas, elle aussi, cynique, après tout ? Car il apparaît qu’elle n’est pas dupe, la jeune donzelle. Sous ses airs mièvres et ses silences qui en disent plus long que la logorrhée de ses illustres hôtes, Sylvie a vu dans leurs jeux et s’amuse, inconsciemment au début, puis fermement décidé à avoir sa part du gâteau par la suite, à abuser des situations mine de rien …
Alors elle couche avec l’un puis avec l’autre. Et la compétition de nouveau s’engage. Inutile, absurde.
L’un est obsédé par son cul - et la sodomise donc systématiquement - tandis que l’autre peine à faire autre chose que de déguster du caviar avec des œufs brouillés. Sylvie fréquente donc l’un pour le plaisir ( ?) et l’autre pour la notoriété.

Voyages, palaces marocains, fêtes parisiennes, nymphettes et starlettes, paillettes et champagne. Mais les petites bulles jaunes ne cacheraient-elles pas le désert des sentiments ? La lâcheté de ces ténors de la pensée qui se crachent dessus les uns les autres par médias interposés ? L’absence d’idéaux dans leur démarche ? La faiblesse de leurs idées, pour peu que certains d’entre eux en développent une ?
Invariablement, cette descente aux enfers sous couvert de découverte du monde merveilleux des lettres et des plaisirs, démontre l’implacable constat : tout n’est qu’illusion.
Beaucoup de bruits pour rien.

A moins qu’il y ait une clé, un code à découvrir. Une vérité cachée, à demie. Car les patronymes sont à peine voilés, surtout Hallier qui apparaît comme l’homme central du récit. N’est-il pas ainsi décrié sous couvert de portrait haut en couleurs ? Ne se voit-il pas dénoncé dans son ultime pied de nez ? Aveugle sur la fin de ses jours, il s’amusait à exhiber ses toiles peintes avec l’aide d’un ordinateur et de loupes géantes, disait-il. Mais n’aurait-il pas plutôt eu un(e) aide ? Sorte de nègre supplétif au pinceau agile …
Je me souviens avoir partagé le même hôtel avec Hallier, à Trouville, il y a quelques années. Il m’avait bien semblé qu’il jouait un rôle, le coquin. Il nous disait ne plus rien voir, mais il partait faire des balades à vélo. Il avait déjà avec lui ce petit carnet de croquis qui ne le quittait pas. Nous nous amusions le soir à inventer des auteurs fantaisistes et à leur coller des citations loufoques. Il m’avait avoué dans un clin d’œil - pour un borgne à moitié aveugle, c’est déjà une preuve de haute intelligence et d’un net recul par rapport à la maladie, non ? - il m’avait parlé, donc, de ses petits secrets de polichinelle. Il m’avait donné les noms de ces auteurs magnifiques nés de son imagination, et qui trônaient au Panthéon des imbéciles qui les reprenaient dans leurs livres, leurs articles … Mais chut, je ne dirais rien, laissons à dame Massat la primeur de ses révélations. Car nous sommes en droit de nous poser une question essentielle :
Alice Massat a-t-elle connu la vérité ? A-t-elle fréquentée de près l’écrivain philosophe qui n’hésitait pas à jeter les livres mauvais comme on jette une boite de lait vide devant les caméras de Paris Première ? Brode-t-elle sur une légende, une rumeur ?

Voici un joli petit texte qui se lit d’un trait, un bol d’air frais qui brise quelques idées reçues en les peignant au vitriol, une oscillation ondulatoire sur la vénalité des hommes, leur cruauté intellectuelle, et leur ignorance crasse de la plus élémentaire psychologie. Car en pensant manipuler, en se voyant le centre du monde, celui qui influe la pensée, ils ne sont, ces penseurs d’opérette, ces bouffons télévisuels, que le sinistre reflet d’une société qui dérive.

Pour preuve, le dernier prix Nobel, J-M Coetzee, homme secret et écrivain subversif, est inconnu des plateaux télé, pas une interview, très peu de photos. Seule son œuvre parle, seuls ses textes évoquent sa recherche.
On ne peut en dire de même pour tout le monde …