Flowerbone,
ou l’humain côté pile

Flowerbone, <br>ou l'humain côté pile

Comment mieux sonder l’âme humaine qu’en lui enjoignant une copie au sang froid ? C’est là tout le pari –réussi ! – de Robert Alexis qui, dans son dernier roman, nous entraîne à la poursuite du dessein du Grand Ordinateur qui a succédé aux cyborgs qui ont succédé aux humains. Vous me suivez ? Non ? Reprenons depuis le début …

Dans un futur proche, les humains – pas si malins – ont mis au point des robots capables de penser, les cyborgs ; lesquels ont fini par en avoir assez d’être cantonnés aux tâches subalternes, si bien qu’ils ont fini par prendre le pouvoir. Exit les Hommes. Puis, comme tout n’est qu’évolution, les mathématiques qui régissaient l’esprit des cyborgs ont continué à poursuivre leur recherche expérimentale si bien, qu’un beau jour, c’est V. Dee qui prit le pouvoir. Le Grand Ordinateur contrôlait désormais toute forme de vie artificielle et gérait la cité grâce au Programme. Tout aurait pu être pour le mieux dans le meilleur des mondes s’il n’y avait eu ce petit bug, en quelque sorte, cette question anodine qui s’est amplifiée. Au point de devenir un leitmotiv qui tournait en rond dans les puces au silicium et qui déclencha l’opération.

Pour tenter d’y voir plus clair, il fallait – quoiqu’il en coûte – faire confiance aux hommes car eux seuls étaient en capacité de faire preuve de sensibilité et d’intuition, ce qu’un programme informatique ignorait. Le Programme désigna un cyborg et l’envoya dans le passé pour être la nouvelle Eve. Elle se réveilla dans l’Amérique des années folles, quand Jean Harlow rayonnait de sa gloire. Le Programme lui offrit, à elle aussi, une beauté étonnante, un corps radieux et sensuel, en quête de plaisir. On la prendrait pour une espionne ou une fée, mais qu’importe … Pour s’unir à elle, le Programme ressuscita le Baron Rouge, ce fou volant mort en 1917 pour incarner Adam. Mais pourront-ils se reconnaître ? S’aimer ? D’autant que le Programme les ballade du Cotton Club de Harlem aux plaines du Kenya … Lui, soudainement en costume croisé, si décalé dans un lieu bucolique au milieu des oiseaux. Et elle, avec cette air de nulle part, dont on lui faisait souvent le reproche, rit de se savoir ainsi le jouet d’un dessein primordial que personne ne subodorait : redonner vie à la lumière dans la nuit infernale.
Son enfant sera ce pôle nouveau qui illuminera l’univers …

Dans une écriture elliptique aux résonances toutes poétiques, Robert Alexis nous plonge dans l’abîme du genre humain. Sillon tortueux que celui-ci qui suinte des affres de la pensée humaine incarnée. Jaillissant de la tourbe des instincts, il peindra un texte à la voix particulière dans un tempo inhabituel où le plaisir de la lecture reflète également celui de l’introspection révélée …
Scène phare que celle de la rencontre du cyborg et de son double, cette jeune starlette qui avait servi de modèle au Programme, car alors cette enveloppe au caractère exogène sent pénétrer en elle un suc unique qui n’est autre que la vie, cette fleur si vite fanée qu’on oublie, quand on la possède, qu’elle est unique et source d’une extraordinaire force.

Le monde ! Rapporté ici en quelques pages, se suffirait-il à lui-même d’être ainsi comprimé ? Sans aucun doute puisqu’il est dépeint avec tant de finesse qu’un mot offre mille images, qu’une phrase n’est plus son mais symphonie, et qu’alors le paragraphe, puis le chapitre et enfin tout le roman devient un tout, ce calme bloc qui renferme l’essentiel.

Robert Alexis, Flowerbone, coll. "Merveilleux", José Corti, décembre 2007, 156 p. – 15,00 €