Questions à Jann-Marc Rouillan, écrivain semi-libéré

Questions à Jann-Marc Rouillan, écrivain semi-libéré

Jann-Marc Rouillan est en semi-liberté depuis le 17 décembre 2007. Il vient de publier Chroniques carcérales aux éditions Agone. A cette occasion, l’ancien militant d’Action directe nous accorde une interview où il est notamment question d’histoire contemporaine, de prison et de littérature.

Paco : Ta condition de semi-libéré ne te permet pas d’évoquer les faits pour lesquels tu as été condamné à la réclusion à perpétuité. Nous allons donc essayer de nous limiter essentiellement à ce qui appartient à tes activités « littéraires ». Dans l’une de tes chroniques écrites à Moulins, en 2004, tu te demandais si tu allais reconnaître « le pays du dehors » après vingt ans passés en prison. Maintenant que tu as un pied dehors depuis quelques semaines, peux-tu répondre à ta question ?

Jann-Marc Rouillan : Pas vraiment. Du moins je n’ai pas encore réussi à formuler mes premières impressions. Et donc que dire ? Pour sourire, je citerai le Président Mao : « celui qui n’a pas mené l’enquête ne peut parler ». Pour moi, l’investigation se poursuit.
Mais est-ce un monde si différent de celui que j’ai quitté à la fin des années 80 ? Je ne le pense pas. Du moins à première vue dans ce pays, je ne note pas de très grands changements. Le libéralisme se déchaînait déjà et les principaux ravages qu’il provoqua dans la société, s’étaient imposés ou étaient en voie de le faire. S’il y a une différence vraiment forte, je la remarque chez les gens, chez les copains et les camarades. Dans leur état d’esprit. Ils ne semblent plus croire (ou du moins plus concrètement) à une possible libération radicale. C’est-à-dire à une action capable de préparer cette libération collective et donc de la vivre dès maintenant, telle une libération pour soi-même.
Ainsi, le souffle de l’espérance paraît s’être tari.
Dans toutes les conversations, je ressens un lourd fatalisme. Et la présence dictatoriale de limites (sociales, politiques, culturelles… et ô combien légalistes et pacifistes). Des limites acceptées dans l’absolu comme si elles étaient objectives et indépassables. Bien sûr, je découvre beaucoup de démerde et parfois un peu d’illégalisme mais peu de militantisme révolutionnaire comme nous le connaissions dans l’après 68.
Sans compter qu’aujourd’hui, une opinion radicale de gauche est défendue mais sans trop en assumer les conséquences politiques. Car finalement tout se limite souvent au simple syndicalisme et à l’électoralisme. Sans conteste, le syndicalisme révolutionnaire et jusqu’à l’électoralisme d’extrême gauche peuvent avoir une utilité pour le projet révolutionnaire mais ils ne le résument pas… Loin de là !
Mais là encore je dois rester prudent car je suis « dehors » depuis trop peu de temps et sans doute que beaucoup de choses m’échappent encore.

Paco : Comment se passe le retour en cellule le soir et le week-end ? Cela ne doit pas être évident d’aller frapper à la porte d’une prison pour y entrer !

Jann-Marc Rouillan : Tu parles ! J’ai passé des années et des années à gamberger au comment je pourrais m’arracher de zonzon et me voilà réduit chaque soir à sonner à la porte ! Et en plus certains soirs, nous sommes contraints à faire la queue au moins un quart d’heure ! Jeudi dernier, un gars trop impatient a filé des coups de tatane dans la lourde. Je lui ai expliqué en rigolant que nous n’allions pas faire un mouvement collectif pour nous faire boucler plus vite !

Paco : Cette transition te permet peut-être de te réadapter doucement, de remettre tes pendules à l’heure... et d’écrire de nouvelles chroniques.

Jann-Marc Rouillan : Bien évidemment, à l’extérieur, les heures s’évanouissent trop vite. Les premiers jours, j’en étais assez déstabilisé. Je rentrais pour m’écrouler. Je dormais. Du coup j’évoquais un « métro, boulot, zonzon » ! Et le premier samedi quand je me suis retrouvé en cellule, j’ai vécu ces retrouvailles avec le temps du dedans comme un soulagement. Tout d’un coup, il n’y avait plus rien à faire, ni à voir, ni à débattre… Il ne restait que ma bonne et vieille carapace de pierres et de grilles. Et le rythme du temps inutile et vain du monde auquel lentement je m’arrache.
Pour le moment, je n’écris pas en cellule. Tout simplement parce que l’administration rechigne à me refiler mon ordinateur. C’est le genre de petit tracas qu’ils adorent occasionner aux « vedettes » de l’actualité judiciaire.

Paco : Tu n’as jamais connu une détention « normale ». Détenu particulièrement surveillé, tu ne côtoyais pas les mêmes personnes que celles que tu croises aux Baumettes. Quels sont tes rapports avec les « Gremlins », ces mômes qui tombent pour des conneries ? Ils connaissent ton histoire, tes chroniques ? En ce monde gangrené par le people, es-tu, malgré toi, une sorte de « star » à leurs yeux ?

Jann-Marc Rouillan : Le premier jour, pour eux, je n’étais qu’un Chibani comme les autres. Ils n’ont bien sûr jamais lu les Chroniques ni mes autres bouquins. D’ailleurs j’ai l’impression qu’ils ne lisent rien ou pas grand-chose, sans doute 20 Minutes ou la Provence. À leurs yeux, je ne suis devenu quelqu’un qu’à partir des reportages télés et des photos dans cette presse.
Un soir dans le métro, des meufettes m’ont abordé en me demandant de « quoi j’étais une star ? ». Le lendemain, un jeune s’est approché pour me dire admiratif : « Oh vingt ans de prison, Monsieur, vous êtes un homme ! » Dans ces moments-là, tu te rends compte que la discussion est biaisée.
Dedans, dehors, les Gremlins se réfèrent à des valeurs qui ne sont pas les miennes. Et qui ne l’ont jamais été. Des passerelles se tissent malgré tout quand ils sont au courant de nos actions contre le colonialisme sioniste, les militaires américains ou contre les flics… Mais c’est un autre débat comme me le rappellerait mon Juge d’Application des peines.

Paco : Tu parles parfois de la télé dans tes chroniques. Ces vingt dernières années, tu as assisté à l’évolution de la vie du dehors à travers le zoom déformant des journaux télévisés. Aujourd’hui, en marchant dans la rue, en allant au café, n’as-tu pas l’impression de débarquer d’une planète même pas répertoriée sur les cartes ?

Jann-Marc Rouillan : C’est incroyable mais pas du tout. Seules quelques minutes ont suffi. Dès l’instant où ils m’ont jeté dans le bus puis dans le métro, le vieux réflexe du clandestin est revenu à la surface : ressembler à tout le monde ! Bien sûr la vitesse des véhicules m’a mis en difficulté mais à part ça rien. J’ai eu l’impression de n’avoir jamais quitté les rues.
Je crois que cette aptitude est un héritage de mon passé. Avec la guérilla, j’ai lutté dans plusieurs pays. Je changeais fréquemment de ville et de culture et je devais m’adapter immédiatement. Un impératif…
Avant cette semi-libération, je ne connaissais pas Marseille et à chaque minute seul le sentiment de la découvrir m’anime.

Paco : Après avoir écrit de superbes livres, te voilà éditeur. Et pas dans n’importe quelle maison d’édition. À quels livres as-tu déjà travaillé ?

Jann-Marc Rouillan : Je travaille avec les éditions d’Agone depuis 2004 et j’ai bossé à des livres ouvriers comme la réédition de Putain d’usine de Jean-Pierre Levaray ou Grain de sable sous le capot relatant l’expérience des OS à Sochaux… J’ai également travaillé à la pièce d’Howard Zinn sur Emma Goldman…

Paco : Quels sont tes projets ? De l’auteur, j’attends par exemple une suite à De Mémoire

Jann-Marc Rouillan : Je viens donc de publier le recueil des Chroniques carcérales et début 2009, je sors le tome 2 de De Mémoire.
Après avoir conté dans le premier volume l’époque du passage aux armes au cours des mois qui suivirent notre beau mois de Mai de 68, dans le second, je me penche sur le dernier jour du MIL (Mouvement Ibérique de Libération) à Barcelone. En septembre 1973, notre groupe de guérilla a été démantelé par la police de la dictature. Salvador Puig Antich a été arrêté au cours d’une ultime fusillade et ce camarade reste à jamais le dernier garrotté de la dictature franquiste.

Paco : De quelle collection va s’occuper l’éditeur, vas-tu te spécialiser dans un domaine ?

Jann-Marc Rouillan : Dans l’immédiat, je prépare la parution des Carnets de luttes d’un anarcho-syndicaliste angevin, de François Bonnaud, que nous publions en septembre prochain, et je concours également à la série de romans d’Alfred Döblin, Novembre 1918, dont nous éditons un inédit, Karl et Rosa, les derniers jours de la révolution spartakiste, à l’automne et les trois autres volumes en 2009.
Parallèlement, je dois fouiller les vieilles éditions des années 60 et 70 afin d’alimenter notre collection de poche « Eléments » d’ouvrages marxistes et spécialement de la pensée hétérodoxe.

Paco : J’ai été très impressionné par La Part des loups, un roman d’une grande intensité. Le personnage est poignant. Le fond de l’histoire emporte le lecteur. Je trouve cette fiction plus convaincante que dix mille tracts ou slogans réducteurs grâce au souffle humain qui l’enveloppe.

Jann-Marc Rouillan : J’ai écrit ce livre littéralement au fond du trou. Au tournant de la 17e année de prison lorsque l’espoir d’une sortie rapide voire violente avait disparu. Je devais donc attendre encore des années et années… et tenir, passer les épreuves, retourner à l’isolement total comme l’année suivante ils m’y ont forcé à deux reprises, supporter les transferts disciplinaires…
J’avais besoin de force et souvent c’est à travers nos devanciers qu’on y parvient le mieux. Au fil des jours, j’ai laissé remonter à ma mémoire les histoires que les vieux guérilleros espagnols communistes et anarchistes m’ont contées tout au long de mon adolescence.
Finalement, ce livre est un hommage à ceux qui luttent jusqu’au bout… en signifiant bien naturellement que j’essayerai de m’inscrire dans cette tradition.
Pas plus qu’il n’y en eut pour eux, il n’y aura jamais chez moi d’amende honorable. Quelles qu’en soient les conséquences. Et quoique j’ai déjà payé jusqu’ici.

Paco : Dans La Part des loups, j’ai été particulièrement étonné par ta façon de dépeindre la nature, les odeurs, les couleurs, les sons... Où trouve-t-on la force et la « liberté », en prison, pour donner autant de vie aux montagnes, aux arbres, aux sources, au vent ?

Jann-Marc Rouillan : En cellule, inutile de dire que nous vivons l’exil du pays du dehors. Comme pour la nostalgie de l’expatrié, l’absence nous nous conduit à magnifier. Cependant je ne voulais pas laisser la montagne dans son unique rôle de décors. Elle devait devenir personnage à part entière à la manière des collines et du fleuve de Jean Giono.
L’expression populaire espagnole pour prendre le maquis est « echarse al monte ». Et finalement ce « monte » porte en lui la trace de tous les guérilleros et de tous ceux et celles qui ont résisté aux occupations, à l’inquisition jusqu’aux guerres de guérilla du 19e et 20e siècle. Ainsi dans La Part des loups, le couple du guérillero et de la montagne figure également le rapport à l’intemporel et à l’immensité du combat. Nous luttons et le combat nous enveloppe et nous habite. L’individu passe et le combat reste là debout comme un devoir à remettre sans cesse sur l’ouvrage.

Paco : La poésie est très présente dans tes livres. Antonio Machado dans La Part des loups, Léo Ferré, Leonard Cohen, Claude Marti, Arthur Rimbaud, celle chantée par Paco Ibañez... sans oublier celle qui coule souvent entre tes lignes. Pourrons-nous un jour lire un recueil de poèmes signé Jann-Marc Rouillan ?

Jann-Marc Rouillan : Je ne le crois pas car je ne suis pas versificateur. Mais il est clair que je suis un adepte de la respiration poétique. D’un coup dans le texte, je sens le besoin d’un refrain, deux ou trois vers qui emportent le lecteur à la manière d’une digression mais une digression trompeuse car elle n’a pour but que de l’emporter au plus profond encore du discours.

Paco : Je me pose des questions sur les conditions de réalisation de tes livres, de prison en prison. Comment ton écriture était-elle tolérée ? On n’écrit pas une belle somme comme La Part des Loups en cachette. J’imagine aussi que la sortie de tes livres devait faire pas mal de bruit du côté de l’administration pénitentiaire, surtout quand des pages sortaient clandestinement, ou même chez les détenus. Ça se passait comment ?

Jann-Marc Rouillan : La pénitentiaire a toujours fait la guerre à mes écrits. Au début, elle a traqué mes manuscrits et saisi mon ordinateur pendant plusieurs mois. Et je suis passé de nombreuses fois devant le prétoire (tribunal disciplinaire) pour détournement des procédures de censure et communication illégale avec l’extérieur.
D’ailleurs je ne remercierai jamais assez toutes les personnes, prisonniers et familles qui m’ont aidé et permis qu’il demeure toujours une copie de mes travaux. Qui l’ont dissimulée parfois des mois et expédiée aux éditeurs le moment venu.
Au bout d’un moment, l’administration a laissé tomber. Et bien que tout se fasse clandestinement, quelques jours avant une parution, j’avertissais le directeur. C’était un modus vivendi… Cela lui évitait d’être prévenu par le Ministère. Et d’en faire une affaire personnelle.
Dernièrement les attaques ont été plutôt portées par les juges qui m’interdisent d’assurer le suivi de mes livres. Et particulièrement le fait de les défendre en librairies… et de pouvoir rencontrer mes chers lecteurs…

Paco : Tu as 55 ans et tu viens d’avoir le premier bulletin de salaire de ta vie. Au train où va le calcul des cotisations, tu pourras peut-être prendre ta retraite à 110 ans… Ton SMIC est taxé d’un tiers par le Trésor Public pour indemniser les familles des victimes. Par « chance », tu es encore nourri, logé et blanchi pour un moment, mais ça ne fait tout de même pas lourd pour survivre…

Jann-Marc Rouillan : Dans les prisons, l’obsession de faire payer les prisonniers est devenue tyrannique. Un impressionnant système de ponction et de racket est mis en place. Un jour de permission « en plus » se paye cash. Un mois de grâce « en plus » c’est tant… Dans chaque bureau, tu entends le bruit de la caisse enregistreuse. Bien évidemment, la justification à propos des familles de victimes est parfaitement creuse et quasiment religieuse.
Mon cas ne déroge pas à la règle générale. Pourtant les familles de Besse et Audran ont reçu des fortunes, de la sécurité sociale tout d’abord car leur mort a été passée en accident du travail (ce qui finalement n’était pas faux). Et question de stature sociale, la famille Besse a reçu 100 fois plus que la famille d’un ouvrier de Renault mort la même semaine dans un accident de la circulation. Quoi qu’il en soit je paye. La liberté est à ce prix et c’est vraiment le cas de le dire. Je paye, je reste dehors. Je ne paye plus, je suis immédiatement emprisonné, telle est la règle du jeu.
Et nous sommes des milliers dans ce cas de figure, il s’agit en fait (comme aux USA) d’organiser la probation en un service du travail obligatoire.
Et concrètement ils osent tout et se foutent pas mal de me renvoyer au-dessous du seuil de pauvreté.

Paco : Et tu reverses tes droits d’auteur pour la défense des prisonniers politiques.

Jann-Marc Rouillan : Bien sûr et les magistrats soupçonnent l’existence d’un système d’évasion de « ma fortune » acquise malhonnêtement grâce à la littérature !!! Leur imagination (fort myope) ne leur permet pas de comprendre que je puisse faire don de mes droits d’auteurs… Ils dénoncent ce véritable scandale ! Le procureur anti-terroriste m’a fermement engagé à verser mes droits à SOS attentat !

Paco : Depuis ton adolescence, tu as passé la moitié de ta vie dans la clandestinité et l’autre moitié en prison. Cela donne une matière inouïe pour plus d’une vie d’écriture, mais le réveil n’est-il pas un peu dur ?

Jann-Marc Rouillan : Non pas du tout car j’ai la ferme intention de continuer à rêver… et donc à lutter.

Paco : Ces dernières années, j’ai constaté que des élus du Parti communiste intervenaient régulièrement en faveur des ex d’AD. L’Humanité a souvent publié des articles sur votre situation ou sur tes livres. J’ai notamment en mémoire un très bon papier sur Lettre à Jules. Comment as-tu vécu ce soutien alors que j’ai l’impression que, plus à « gauche », le soutien n’était pas toujours à la hauteur de ce qu’il aurait pu être ?

Jann-Marc Rouillan : Ayant connu le PCF des années 60 et sa culture anti-gauchiste, quand ils ont débarqué dans les comités de soutien, j’étais plutôt perplexe.
Bien évidemment et chaque fois qu’ils le pouvaient, ils y allaient de leur prêche condamnant nos activités. Mais ce n’est pas grave car nous en avons autant à leur propos. Par contre, j’ai rencontré chez eux une solidarité de classe vraiment spontanée et sincère.
Plus à gauche pendant plus de 10 ans, nous avons surtout été confronté à une terreur plus qu’à une condamnation politique. Dans le projet de transformation radicale (que tu sois anar ou coco), la question de la violence est trop importante pour en faire l’impasse. Et à travers notre situation, ils craignaient sûrement le père fouettard qui à la fin des années 80 a mis la barre de la répression très haute ! Dans ce pays, nos procès et nos condamnations unanimes ont servi de mise en scène à l’accord sur les limites à ne pas dépasser en matière de militance d’extrême gauche. L’évangile légaliste et pacifiste devenait ainsi le credo d’une génération.

Paco : En réaction à un papier sur De mémoire, un lecteur m’a un jour traité de daltonien sous prétexte que je voyais du noir là où il n’y a que du rouge... C’est-à-dire que le « libertaire » que je suis ferait la part trop belle au « communiste » que tu es. Franchement, je n’ai pas envie de connaître la « Société Idéale » que prépare ce monsieur, sans doute pur et dur. Que t’inspirent ces gens qui taillent des costumes à la serpe ?

Jann-Marc Rouillan : Au cours des dernières années, je me rends compte combien l’esprit sectaire domine l’absence d’engagement réel.
Pour les militants cherchant à s’exonérer de la moindre solidarité de classe avec nous, il y a toujours eu une bonne raison. Pour les ML, nous étions anars et pour les libertaires de simples stals.
Finalement ce n’est que de l’alibi. Et ce genre de militant ne prépare aucune « société idéale ». Ils s’accommodent fort bien de celle-ci pour chercher à la transformer.
En parcourant le Net, je m’aperçois combien hurler avec les loups est devenu un genre. Reprendre les mensonges de préfecture, les calomnies judiciaires et les attaques fielleuses se fait sous le couvert de la critique politique et d’une prétendue radicalité.

Paco : Tu viens de perdre ton poste de correspondant permanent au pénitencier pour CQFD. Postules-tu pour une place d’envoyé spécial au pays du dehors ?

Jann-Marc Rouillan : J’avais une place en or et me voici viré comme un malpropre ! Dur. Comme je l’ai expliqué à mes anciens collègues de CQFD, il va falloir que je trouve un créneau. Mais au « pays du dehors » la concurrence est rude. Je n’ai pas d’idée pour l’instant. Le présent est trop présent, il se confond avec l’immédiat et ce n’est pas trop bon pour l’écriture.

Paco : Nous venons de faire un tour d’horizon rapide dans la limite de ce que nous pouvions aborder aujourd’hui. Je te laisse le mot de la fin. Tu as carte blanche pour conclure cette première rencontre virtuelle.

Jann-Marc Rouillan : Je n’ajouterai qu’un seul mot pour rappeler que dans les prisons de ce beau pays démocratique de très nombreux prisonniers politiques crèvent. Je sais bien que certains diront « celui-là a fait ça et je ne suis pas d’accord » ou « celui-là ne pense pas comme moi, là encore je ne suis pas d’accord » mais à force de ne rien faire, de ne jamais protester et d’accepter la dictature anti-terroriste, les plus sincères et les plus engagés se retrouveront eux aussi sous les verrous. Car le système grignote sur le terrain de toutes les pratiques et toutes les positions.
Et à ce moment-là, il y aura toujours aussi peu de monde pour réagir.

Paco : Merci Jann-Marc. Bienvenue dans le monde « libre » pour autant qu’il existe. Mais, au fait, pourquoi « Jann-Marc » ? Que devient Jean-Marc ?

Jann-Marc Rouillan : Un soir en cellule, je lisais un bouquin de Pessoa, il expliquait qu’ayant changé une lettre à son nom, sa vie s’en trouva bouleversée. En prison comme on essaie toutes les recettes pour tenter quelque chose, j’ai décidé de faire de même. Plus sérieusement, si ma littérature est indissociable de mon action politique, elle n’y correspond pas exactement, elle ne s’y épuise pas. Cette lettre absente et inscrivant mes origines figure la « part de l’ange » de ma maturation.

Jann-Marc Rouillan vient de publier Chroniques carcérales aux éditions Agone, collections Éléments, 226 pages. 10€.

Du même auteur, chez le même éditeur, sont disponibles Lettre à Jules, La Part des loups et De Mémoire (1).