L’amour est sacrifice

L'amour est sacrifice

Pour une surprise, c’est une surprise ! Ce le fut en 2006 lorsque ce livre rencontra en Italie le succès public et l’estime de la profession en se voyant décerner le prestigieux prix Racalmare Leonardo Sciascia. C’est encore le cas dans sa version française qui est un régal de dérision et de deuxième degré.

Il n’y a que les imbéciles qui croient au choc des civilisations ! Il faut vous en convaincre : les crétins dégénérés qui ne parlent que de cela avec le titre ronflant d’expert en ceci ou en cela vous trompent ! Cette théorie fumeuse est une invention de l’esprit pour justifier un conflit. Comme les peuples ont vocation à vivre ensemble mais que les dirigeants politiques ont, eux, vocation à se combattre, il a bien fallu inventer un motif pour se faire la guerre. Les religions ayant épuisées la quasi totalité de leurs possibilités, on a inventé l’improbable rencontre de civilisations qui seraient à tel point différentes qu’elles ne pourraient se comprendre et s’apprécier … Tout cela pour mettre la main sur les matières premières et garantir au plus fort un droit sur le plus faible.
Mais où donc est l’amour dans tout cela ?

C’est bien là le nœud gordien du problème. Et c’est amusant que ce soit un barbare qui nous le rappelle. Amara Lakhous est né en Algérie. Il vit en Italie depuis 1995, y exerce les professions de journaliste, d’anthropologue et de romancier. Il écrit en arabe. Mais pour ce livre-là, justement, il a choisi de le réécrire en italien, lui l’arabophone. Un ultime pied de nez à la bêtise crasse de ceux qui enferment l’homme dans un seul moule. Une manière de faire un bras d’honneur à la Ligue Lombarde, avatar fasciste d’une Italie qui n’aime pas trop les étrangers …

Afin de mener à bien sa démonstration, Amara raconte les aventures d’Amedeo, injustement accusé d’avoir occis son voisin. S’emballe alors un récit à plusieurs voix, chaque voisin de l’immeuble ayant droit à son chapitre, commenté tout de même, entre chaque, par le premier intéressé qui pousse, entre deux réflexions, parfois, quelque hurlement, pour s’éclaircir l’esprit, qu’un loup solitaire ne dénigrerait point. Fasse à tant de bêtise, il faut expectorer pour que la saleté sorte …

Amedeo aime Stefania, il aime la vie, son métier de traducteur, ses amis étrangers qu’il aide à affronter les petits tracas de l’administration italienne – et Dieu sait qu’ils sont nombreux ! – mais son ulcère à la mémoire est parfois si violent qu’il doit hurler de nouveau, quitte à ce que la cage d’escalier vibre de son trémolo … On rit beaucoup dans ce livre mais à la dernière page on a aussi ce goût amer dans la bouche qui nous rappelle qu’on ne doit pas juger sur les seules apparences, sur les présomptions, sur les commérages, les intentions, les prévisions ; que l’on ne doit jamais juger quoiqu’il en coûte et même si l’on nous le demande. Car qui sommes-nous pour juger, et que savons-nous pour oser porter un jugement ? Personne ne connaît la vérité et ce n’est certainement pas la société dans laquelle nous vivons et la direction que certains nous forcent à prendre qui nous permettra d’y voir plus clair. Ce qui est certain c’est que ce livre nous propose d’affronter une bonne fois nos démons pour en finir avec eux et qu’il nous ramène à la dure réalité, celle qui nous blesse parfois, celle qui nous démontre que l’on est encore très loin d’un univers tolérant et qu’il reste beaucoup de travail à faire. Sur soi-même, et avec les autres. Les autres : sans eux, rien n’est possible !

Amara Lakhous, Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio, traduit de l’italien par Elise Gruau, Actes Sud, octobre 2007, 148 p. – 18,00 €