Contre-attaque du Vatican en Europe

Contre-attaque du Vatican en Europe

Avec l’avènement de Benoît XVI, le grand cirque médiatique de Jean Paul II a fait place à la gravité. Ce nouveau pape, un intellectuel plutôt raffiné, théologien brillant et diplomate redoutable est le maître d’œuvre de ce virage à 360 degrés. En moins de trois ans (il fut élu le 19 avril 2005), son ultra conservatisme austère a balayé tout souvenir d’un passé médiatique et remuant.

Une restructuration ferme et discrète de l’épiscopat et de certains rouages du pouvoir, a permis l’instauration d’une politique qui resitue le rôle du Vatican et de la foi chrétienne dans le monde et les enjeux du XXIe siècle. Cela ne veut pas dire pour autant que l’ostracisme soit tombé sur l’ère paulienne et que les acquis fondamentaux qu’elle revendique aient été jetés aux oubliettes. Bien au contraire, le processus de canonisation de Jean Paul II va bon train et il est en passe de devenir celui qui sut redonner sa place au catholicisme dans le monde. Il aura été le dernier saint père du XXe siècle et Benoît XVI sait parfaitement que pour survivre à son prédécesseur dans l’histoire, il se doit de devenir le premier pape du XXIe siècle.

La tâche est immense mais la conjoncture économique mondiale –la fin de l’ère pétrolière, la misère engendrée par les catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, le déclin des Etats-Unis et l’émergence de la Chine, un autre pays communiste qu’il faudra bien commencer à combattre idéologiquement- joue paradoxalement en sa faveur. Si Jean Paul II sera pour les Chrétiens de demain le pape qui abattit le communisme, Benoît XVI risquerait d’être celui qui tirera le mieux parti des grandes convulsions qui bouleverseront le capitalisme du XXIe, un capitalisme qui va devoir livrer les plus grandes batailles pour assurer sa survie et qui servira de pâture aux critiques vaticanes.

Mais la bataille est-elle pour autant perdue en Europe et en Occident ? La réponse de Benoît XVI est tout à la fois très surprenante et encourageante pour les Catholiques. Alors que son prédécesseur arpentait les parties du monde où se trouvait le plus gros de la clientèle catholique, c’est-à-dire, l’Afrique, l’Amérique latine et une partie de l’Asie, Benoît XVI a, semble-t-il, décidé de reconquérir les territoires d’Occidents « abandonnés à l’athéisme » et quelque peu laissés de côté par son prédécesseur. La Pologne faisait certes exception à la règle, pour les raisons que l’on connaît. Mais depuis l’élection du nouveau pape, l’emprise des cardinaux sur les structures démocratiques en Italie, au Portugal mais surtout en Espagne où l’on accuse Rome de remettre au goût du jour le « national catholicisme » cher à Franco, a redoublé d’intensité. En ce qui concerne la France, la visite de M. Sarkosy au Vatican et sa volonté de redonner sa place à la foi dans le pays qui fut un jour « la fille aînée » de l’Eglise, illustre tout à fait cet esprit de reconquête. La conversion de M. Tony Blair au catholicisme, bien qu’anecdotique, laisse aussi entendre que cette contre-attaque du Vatican ne s’arrêterait pas seulement au pays traditionnellement catholiques.

Karol Józef Wojtyła séduisait les foules, Joseph Alois Ratzinger, lui, semble plus apprécié par les élites et les chefs d’états. L’un conquérait les cœurs, l’autre s‘affirme dans les institutions et dans les structures d’états souverains agissant sur les foules d’une façon beaucoup moins voyante mais tout aussi, voire même plus efficace. Deux méthodes, un seul but.

Annexe 1.

Le problème du pardon

Pour palier aux anachronismes qui discréditent la croyance catholique et contribuent à la désertion des églises, les glossateurs chrétiens et les théologiens insistent aujourd’hui sur la nécessité d’une lecture non littérale des textes sacrés (le fanatisme, rappelons-le, étant engendré par une lecture littérale des textes) mais qui soulève à son tour des questions insolubles sur la nature réelle de la Révélation. L’une d’entre elles, et non des moindres, est celle du pardon demandé par le Vatican pour l’ensemble des crimes dont l’Eglise s’est rendue coupable, l’un des plus monstrueux étant la justification morale et la pratique de l’esclavage.

Mais suffit-il de demander pardon pour racheter sa culpabilité ?

Condamner les crimes du passé n’en revient-il pas à condamner l’Eglise du passé ? Ce mea culpa aurait dû, semble-t-il, obliger la foi chrétienne à une métamorphose. Pourtant rien na été fait dans ce sens. Aucune métamorphose n’a été accomplie. Ce pardon a été d’emblée reçu par des acclamations. Pourquoi fut-il interprété comme une fin alors qu’il ne s’agissait que d’une amorce de changement ?

Ce pardon très médiatique a eu pour effet de modifier brièvement l’image de l’Eglise sur l’écran spectaculaire du monde médiatisé. Une fois le pardon déclaré et propagé à travers la planète, il n’est resté que le geste extraordinaire d’un homme, le pape, face à la substance mystérieuse du christianisme. Substance qui a su conserver une place prédominante au cœur des expressions d’irréalité de nos sociétés post-industrielles. Une substance médiatisable au possible et qui sous l’influence des médias portés tout naturellement à l’irrationnel a le pouvoir de fixer elle-même ses propres règles d’existence.
La signification réelle de ce pardon a été omise parce que la structure de notre réflexion, imposée par la philosophie du marché et légitimée par l’effet purificateur de l’obsolescence, induit que le pardon, ou toute volonté de faire table rase, métamorphose instantanément l’imaginaire et la structure historique qui lui correspond. Demander le pardon, c’est le recevoir instantanément !

Pour pouvoir re-rentrer du bon pied en Europe, il lui fallait montrer patte blanche et faire amende honorable. Elle, qui ne recevait depuis 2000 ans d’ordres que de Dieu, demandait maintenant le pardon des hommes. Voilà pourquoi elle l’obtint si naturellement. Le succès de l’entreprise fut le creuset des changements pratiques des conditions d’existence de l’Eglise en Europe, certes, mais aussi dans le Tiers-monde.

Rome s’assura du même coup la possibilité de développer deux versions du catholicisme au sein de mondes hermétiques et étrangers -ceux du Sud et du Nord- qui, de par l’effet de l’illusion spectaculaire, croient cependant tout partager sur un plan symbolique. Toutes les conditions pour qu’un miracle se produise sont donc réunies. Une résurrection de l’Eglise occidentale moribonde est à prévoir. Sa projection sur l’écran spectaculaire du monde possède, de surcroît, un atout dans la figure médiatique du pape ; autre miracle dont l’église soit encore capable. Sans cette figure, qui à l’avantage d’être un tout et qui rappelle la grandeur du Christ dans le simple fait de sa colossale envergure médiatique, la cohésion, l’homogénéité spectaculaire de ce milliard de chrétiens aurait du mal à se régénérer
Ce spectacle qu’est l’Eglise semble indestructible et, à l’instar du capitalisme, transforme en les simplifiant les forces qui voudraient le détruire.

Même si sa nature réelle se corrompt et se recrée constamment, devient incompréhensible et insaisissable pour la grande majorité des chrétiens, tous les gestes qui en émanent fortifient l’idée spectaculaire que l’on a d’elle.