Je suis une sacrée tache

A force que mon éditeur et que mes amis lettrés, qui ont lu en avant-première mon premier mon roman à paraître en 2004, me bassine continuellement avec des comparaisons stylistiques et de cœur avec Philip Roth, j’ai fini par me résoudre à le lire ce frère présumé d’outre atlantique que je ne connaissais que de nom, ce qui prouve bien que je n’ai pas copié ce vieux juif génial. (…sorte de pléonasme, et je ne dis pas cela parce que je suis juif et génial, moi aussi)

J’ai feuilleté scrupuleusement plusieurs de ses ouvrages, me délectant de la force, de l’efficacité, de l’intelligence et de la drôlerie réjouissante de son verbe admirable, impérial et diablement supérieur à tout ce que je lis d’habitude, d’ordinaire ou quotidiennement souvent. Car ces qualités je ne les retrouve en France que chez Jean-Joseph Julaud et Pierre Drachline, pour tout vous dire mes bons amis.

Et puis je suis tombé sur « La tache » qui n’est pas un livre comme les autres puisqu’il y a fort à parier que ce bouquin à la couverture ébène abrite en son sein depigmenté, unique et salvateur un écrit majeur, historique, stigmatisant à lui seul toute l’Amérique qu’on aime et qu’on déteste, celle qui nous fait toujours réagir. Des relents identitaires nauséeux, de l’apartheid manifeste, des « Monica Gate » à l’odeur de pipes goulues etc… et puis surtout une patte infalsifiable.

Coleman Silk, est juif et noir à la peau claire. Son origine africaine est son lourd secret, enfoui au plus profond de son passé qu’il réfute et nie comme cette mère black à la peau très sombre, elle, qu’il ne veut plus voir et qui ne connaîtra jamais ses propres petits enfants blancs.
Cet homme respectable âgé de soixante et onze ans, est accusé à tort de racisme pour un mauvais jeu de mot de « zombi » mal compris par ses étudiants. On lui reproche aussi d’entretenir une relation avec une femme de trente-quatre ans, illettrée et agent d’entretien de son état (d’Amérique). Honte, dissimulation et bonne vieille respectabilité universitaire sous fond d’Amérique puritaine, on connaissait déjà le tableau, mais pas aussi bien narré.

Coleman Silk cultive le secret et tombe publiquement à cause de la plus intime de ses fêlures qui le préoccupe depuis son enfance, un syndrome Michaël Jacksonien sans la pédophilie, somme toute, un bon vieux réflexe de honte d’une appartenance raciale et sociale trop sombre pour bien vivre dans la bonne société américaine..

Philip Roth est un architecte d’intrigues furieusement habile. Son talent d’écrivain relève du prodige dans l’exercice de la narration, passant en douceur de l’objectivité à la subjectivité et multipliant les points de vue avec très peu de dialogues (déroutant, puis fascinant) dans une description de l’Amérique inégalée jusqu’à lors ne serait-ce dans la tradition de la nouvelle Génération Beat mais dans un style tout à fait différent, avec une intelligence fine et un cynisme doux-amer tout à fait bluffant et pertinent qui laisse admiratif et pantois, en tout cas.

Oui, je suis bien le nouveau Philip Roth français, et voilà un état de fait qui une fois de plus ne va pas me valoir que des amitiés.

Tachez-vous

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