Les cris qui tuent deux fois

Les cris qui tuent deux fois

Comment remuer le fer dans la plaie encore chaude

Citant Lamartine la plupart du temps sans le savoir, la sagesse populaire prétend que les grandes douleurs sont muettes. Ce n’est manifestement pas le cas pour Mme Trintignant, qui n’en est pas à son premier cri de souffrance poussé à plus de cent mille exemplaires*.

A cela s’ajoute la promotion du titre via des revues aussi célèbres pour leur discrétion et leur excellente tenue intellectuelle telles que Paris-Match et Elle, en attendant, j’imagine, un petit détour par les studios de télévision, plutôt France2 en prime time qu’Arte à minuit. Mais, dans une époque où tout est à vendre, puisque la mort est une bonne affaire, pourquoi se gêner ?

De toute façon, tout ce marketing est parfaitement spontané : l’éditeur Claude Durand (Fayard) a téléphoné à Mme Trintignant pour lui présenter ses condoléances au moment où elle commençait de jeter sa douleur sur le papier, ensuite de quoi tout s’est enchaîné sans qu’on le veuille vraiment, n’est-ce pas ? la nature est bien fichue, qui n’abandonne rien au hasard, et surtout ne laisse pas de temps au temps, car les cendres froides ne font plus recette.

Les bénéfices retirés de la vente du livre iront aux enfants de la victime, bien sûr, c’est le moins que l’on puisse espérer, mais enfin, avec une maman qui gagnait fort bien sa vie, laquelle au demeurant devait être solidement assurée par sa dernière production, des grands-parents et des papas qui ne passent pas pour être dans la misère, les gamins avaient-ils absolument besoin de cette exhibition pour verser du lait sur leurs céréales ?

S’il fallait à tout prix crier son malheur à la France entière, les euros du voyeurisme auraient pu aller à une association du type SOS-Femmes battues, non ?
Quoiqu’il en soit, si Mr Trintignant, dont le silence, j’allais écrire digne, offre un saisissant contraste avec l’hyperactivité bruyante de son ancienne femme, a l’infortune de décéder avant cette dernière, il n’a pas de soucis à se faire quand à sa future nécrologie : son ex la lui rédigera aux petits oignons, sans le moindre calcul, évidemment, et on la trouvera en librairie dans les plus brefs délais.

J’éprouvais la plus sincère sympathie pour Marie Trintignant, comédienne originale et profondément séduisante et, comme tant d’autres, son destin m’a choqué ; aujourd’hui, il me faut regretter une fois de plus que, comme le serine la chanson, si on choisit ses copains, on ne choisit pas sa famille …

*Elle a déjà commis un best-seller sur le mal qui emporta son frère Christian Marquand