A la gloire des Mu’allaqat

A la gloire des <i>Mu'allaqat</i>

De tout temps les arabes s’amusaient à se défier dans des joutes de poésie. Le plus célèbre tournoi avait lieu à Okaz, un village sis près de La Mecque. Les poèmes victorieux étaient brodés sur des pièces de tissu et "suspendus" sur les murailles de la Kaaba. Une légende était née : celle des poèmes suspendus, les fameux Mu’allaqat.

Abdallah Akar – qui a appris l’art de la calligraphie auprès de Ghani Alani, l’un des maîtres irakiens – a su donner à ce travail spécifique une orientation lumineuse en faisant le choix d’un matériau moderne comme support, la tarlatane, une toile si fine qu’elle en devient transparente. Mariée à la technique du koufique, l’un des plus anciens style de calligraphie, il réussit à capturer la lumière dans ses peintures et à y révéler toute la nuance du trait, libérant les pleins et les déliés dans une symphonie multicolore.
On retrouve dans ce très bel ouvrage des extraits des sept odes, œuvre de sept poètes différents qui reflète à merveille les différences de tempérament et la personnalité de chacun.
Imru’ al-Qays al Kindi qui naît prince vers 500 sur le plateau du Nejd et meurt empoisonné aux portes de Constantinople après avoir mené une – trop – courte vie de débauche (Aujourd’hui du vin, mais demain de l’action !).
’Antara ben Chaddâd al’Absi à qui l’on doit l’extraordinaire Roman d’Antar dont Lamartine écrivait qu’il était "l’un des plus beaux chants lyriques de toutes les langues". Né esclave (car bâtard), il sera affranchi et recouvrera son rang (Je suis plus éclatant que l’aurore. C’est le noir du musc qui le rend précieux, c’est le noir de la nuit qui embellit l’aube).
Labid ben Rabi’a al ‘Amiri, né en 560, dont la langue allie toutes les couleurs : élégiaque, rageuse, exaltée … Il mourut à cent ans à Kûfa, en Mésopotamie (Les flèches du destin ne manquent pas leur cible).
’Amr bben Kulthûm al Taghlibi descend d’une lignée de poètes mais aime aussi guerroyer. De Baalbeck il rapportera un poème dont les vingt premiers vers chantent des vins et les charmes d’une belle (un haut de hanches tel qu’étroit en est la porte, un flanc dont possédé je fus à la folie …).
Zouhayr ben ibn Abi Salmâ al Mazani à qui on tressa des couronnes fut un serviteur de la paix, de la sagesse et de son art (Qui a peur des périls de la mort sera pris, Dût-il gravir à l’échelle les degrés du ciel).

Il en va ainsi de cette Arabie qui ne fut pas toujours heureuse mais qui s’articula essentiellement autour de la poésie. En cette péninsule tribale et nomade, les siècles de razzias qui ont précédé l’Islam n’ont jamais remis en question cet art majeur. Tout bivouac était lieu de parole et d’échange et même concours pour ces poètes des sables. Si bien que cette poésie bédouine représente le fondement de l’écriture arabe telle que nous la connaissons. D’ailleurs, Salah Stétié, dans leLivre des déserts, n’écrit-il pas que "les grandes odes de l’anté-islam sont, avant la descente du Coran, l’aqueduc majeur de la langue arabe, qui, par ces grandes arches, a conduit jusqu’à nous l’eau des origines de la langue où vinrent se refléter les premiers cieux de l’Arabie archaïque" …

Ces ornements de la langue arabe évoquent l’art des orfèvres dans l’extrême légèreté des étoffes qui ne sont pas des matières mortes mais qui parviennent à se faire entendre (Clérambault) en flottant parmi nous … En tendant l’oreille on y devine le pas du cheval de Qays ou celui du loup. Epinglé sur la toile pour notre seul plaisir on jouit des ocres ou de l’indigo, des ombres portées et de la lumière révélée …
Porté par cette poésie élogieuse, on pénètre dans la civilisation du textile, particularité de cet Orient toujours si mystérieux que l’on (re)découvre toujours avec autant d’intérêt.

Parfois en vue d’ensemble sur une double page, parfois en gros plans, toutes les calligraphies qui habillent ce livre sont à couper le souffle, quelque soit le style et la manière dont elles ont été réalisées, prouvant tant la maîtrise que la richesse dont Akar sait faire preuve pour construire une œuvre qui fera date …

Abdallah Akar, Les poèmes suspendus, extraits des Mu’allaqat (Fata Morgana, 2000), traduction de Pierre Larcher, coll. "Grand Pollen", 160x330, broché, couverture couleurs avec larges rabats, Editions Alternatives, septembre 2007, 96 p. – 22,00 €