La Kahina, de Gisèle Halimi, Légende d’une héroïne

La Kahina, de Gisèle Halimi, Légende d'une héroïne

A quoi reconnaît-on un beau roman ? A des acrobaties grammaticales, des télescopages de mots et la fluidité du style disent certains. A un récit haletant, une histoire passionnante et une intrigue déconcertante, affirment d’autres. Il est donc bien rare de trouver dans un unique livre de quoi satisfaire et contenter des lecteurs issus de divers horizons.

Et pourtant, dans son dernier roman intitulé La Kahina, sorti en septembre 2006 aux éditions Plon et réédité en Algérie par les éditions Barzakh, Gisèle Halimi a su comment surprendre les uns et enchanter les autres. En vérité, en faisant revivre sous sa plume la figure mythique de la Kahina, la célèbre avocate et féministe savait pertinemment qu’elle se lançait dans une aventure littéraire des plus incertaines. Il faut dire qu’il est très malaisé pour un quelconque auteur de se projeter dans des personnages historiques à la recherche d’une identité mythique et au parcours symbolique. Mais, décidément, rien de cela n’avait effrayé cette écrivaine déterminée a fortiori à explorer vaille que vaille les origines d’une légende enchanteresse.

Ainsi, Gisèle Halimi revient plus de mille ans en arrière pour nous conter l’incroyable destin de la reine des berbères : la Kahina.
"Mon grand-père paternel me racontait souvent par bribes, l’épopée de la Kahina. Cette femme qui chevauchait à la tête de ses armées, les cheveux couleur de miel lui coulant jusqu’aux reins, vêtue d’une tenue rouge — enfant, je l’imaginais ainsi — d’une grande beauté disent les historiens. Devineresse, cette passionaria berbère tint en échec les troupes du général arabe Hassan". C’est par ces paroles que Gisèle Halimi avoue d’emblée à son lecteur toute sa fascination pour le personnage mythique de la Kahina.

Il serait peut-être bon de souligner de prime abord, qu’avant de se lancer dans l’écriture de son roman sur la Kahina, Gisèle Halimi a passé deux ans à fureter les livres d’histoire, interrogeant les sources grecque et latine, arabes et persanes. L’histoire de la Kahina a été surtout rapportée par les historiens arabes, donc écrite par la plume du vainqueur. Néanmoins, du portrait incomplet qui se dessine émerge l’essentiel que nous avons à retenir : aux temps les plus anciens, une femme au Maghreb assuma le pouvoir, mena la lutte et, pendant près de cinq ans, tint tête à l’invincible armée arabe.

S’aidant dès lors d’une importante documentation historique, que le lecteur peut d’ailleurs retrouver sur les dernières page du livre, Gisèle Halimi réussit brillamment à redonner vie à cette reine de l’Aurès qui, au VIIe siècle, résista aux troupes du général arabe Hassan. Le lecteur ne peut, par ailleurs, s’empêcher de s’émouvoir de la tragédie d’une reine, adulée comme une déesse par ses sujets, incapable de choisir entre son amour pour Khaled, le neveu de son ennemi et son implacable désir de victoire, qui incarne le destin d’une femme exceptionnelle et ce, jusqu’à la mort. Gisèle Halimi usant d’une langue poétique et d’un style harmonieux retrace bien cette tragédie romanesque avec une passion et un talent rarement, faut-il souligner, égalés.

Femme belle et rebelle. Fille de Thabet, chef de la tribu des Djerraoua. Lui qui rêvait d’avoir un garçon, sa femme mettra au monde qu’une « femelle ». La déception du père a fait son effet sur la vie de La Kahina qui, pour satisfaire la volonté de Thabet, apprend à manier les armes et à guerroyer. Elle devint, après la mort de son père, le guide de tout un peuple. Elle s’allie au chef de la tribu des Branes, Koceila pour unifier le peuple berbère et repousser les invasions arabes. Voguant au-delà de cette simple biographie, dans son livre, Gisèle Halimi n’a cessé de fouiner dans les arcanes de l’histoire. Elle nous fait découvrir de cette manière la relation, à la fois maternelle et amoureuse, vouée par la reine des Berbères à son captif, Khaled Ibn Yazid Al Absi.

Ce dernier a été emprisonné après la défaite de son oncle Hassan Ibn Thabit face à l’armée de la Kahina. La guide de la tribu des Djerraoua, en donnant le sein à son captif, comme l’impose la vieille tradition berbère, l’adopte et il devient, de ce fait, l’un de ses enfants. Toutefois, au fil du temps, la simple relation maternelle devient de plus en plus amoureuse et charnelle. Et cela ne va pas sans attiser le feu de la discorde entre la Kahina et l’un de ses enfants.

« J’ai voulu clore ce cycle par la Kahina. Dans son contexte historique, je l’ai fait vivre, aimer, guerroyer, mourir. Comme mon père, Edouard le Magnifique, l’aurait peut-être imaginée. La Kahina était-elle son ancêtre ? Peut-être. L’ai-je aimée en la faisant revivre. Oui. Passionnément », écrit Giselle Halimi dans le préambule de son roman.

Au-delà de la saga de la Kahina, et de l’héroïne qu’elle fut, Gisèle Halimi axe essentiellement son oeuvre romanesque sur l’identité religieuse de la résistante berbère. Mettant en avant la judaïcité de La Kahina, Giselle Halimi s’approprie ce personnage en persistant notamment dans la mystification de la « Kahina la juive ». Pour ce faire, elle s’appuie sur plusieurs preuves, dont celle relative à l’origine du prénom Kahina qui, selon Halimi, est dérivé du prénom juif Cohen. Elle cite également à ce propos les oeuvres d’Ibn Khaldoun. Cependant, il serait entièrement faux de réduire ce récit à un fantasme de « choc de religion ».

Enfin, entre le mythe et l’Histoire officielle, la Kahina échappe encore, aujourd’hui, à ceux qui veulent l’appréhender. En tout cas même le mythe ne lui rend pas grâce aux yeux de Gisèle Halimi : glorifiée, mythifiée, elle ne fait plus peur, comme extraite de tout lien, de toute prise avec le monde. La Kahina trouve en fait sa place, dans le roman de Halimi, dans une analyse plus approfondie, qui se distingue de la légende, issue de l’imaginaire collectif, tout comme du détail minoré par la version officielle de l’Histoire, celle des vainqueurs. En conclusion, il s’agit bien là d’un livre qu’il faut lire et relire.