Les mille et unes vies de Frédéric Viniale

Les mille et unes vies de Frédéric Viniale

Certains ne savent pas quoi faire de la leur. Lui voudrait en avoir des dizaines. A consommer sans la moindre modération. Peut-être est-ce pour cela qu’il aime tant les chats et leur neuf vies. Sauf qu’à la différence de ces animaux sages lui ne veut rien garder en réserve de son supplément d’air. Plus tard sera toujours trop tard et tout est bon à prendre ici et maintenant.

Car Frédéric n’est pas exactement un garçon tempéré. Trop pressé, trop doué, trop inspiré pour ça ! Dans la géographie familiale, la tempérance a poussé chez Fabrice quand Frédéric, son jumeau, son contraire, irriguait ses excès. C’est comme si, dans cette paire improbable mais longtemps incontournable, il avait été chargé de forger la légende.
Toute aisance dehors, il navigue donc allègrement aux vents de la démesure et des choix multiples. Pourquoi, en effet, ne pas tout mener de front quand on y parvient au simple prix d’un éclatement jouissif de la personnalité ? Frédéric Vignale garde un œil sur le cinéma, sa première passion, et un pied dans l’univers du petit écran, dont il connaît la langue sur le bout des doigts.

L’oreille, elle, demeure attentive à la musique et aux mots qu’elle exige ; quant au nez - fin - il est sans relâche à l’affût des coups médiatiques ou des talents à révéler par le biais du sien. Tout cela s’illustre assez naturellement et, bien sûr, de mille manières à travers des activités internétiques souvent chics et piquantes, parfois tocs mais avec panache. Et puis il y a les autres, compagnons de fêtes plus ou moins défaites, partenaires de projets graves ou canailles flirtant parfois avec le canular, révélateurs de ses forces et de ses failles. On aura beau chercher, en dehors de la bulle nacrée où s’épanouit, loin de la hâte, sa petite fée de fille, on ne trouvera ni cloisons ni chronologie dans le monde selon Vignale, qui a érigé une fois pour toute le mélange des genres en genre de vie.

Tel un miroir posé devant cette existence à tiroirs : les collages, un art qu’il rêve et rend accessible et qui lui va comme un beau gant patchwork. Sa technique ? Inventée par hasard et par défi à l’heure du café-croissants. Son inspiration ? forcément infinie dans la mesure où elle s’abreuve avidement à la vie même. Coller est une autre façon de respirer, une expression évidente et jubilatoire pour ce jeune homme qui ne s’encombrerait pas d’un talent vampire. Créer oui, beaucoup et partout, mais pour vivre, encore, et se lier ; pas pour étouffer ou souffrir.
Les collages de Vignale sont des lucarnes ouvertes sur des paysages familiers et pourtant jamais arpentés puisque les lieux y sont bouleversés, les histoires recomposées, les visages grimés d’éléments de leur passé ou de traces de leurs pensées, les silhouettes fondues dans un kaléidoscope immobile.

Ces œuvres, ces méli-mélo, sont précisément cela : des morceaux empruntés aux quatre coins et offerts, méconnaissables ou presque, à l’émerveillement du regard. On se prend alors à chercher dans l’œil de l’artiste la clé de ces songes éclatés. Et voilà que derrière le Vignale animal de société affamé d’expériences, derrière le jongleur un rien funambule quand le prend le vertige de la manipulation, bref, derrière le Personnage et son grand P pointe une petite personne pudique : Frédéric enfant, comme embarqué ébahi dans ce corps d’homme à succès. Et quelle exaltation ces vies variables, ce pouvoir de l’invention pour celui qui trouva si tôt son décor trop étriqué, qui désespérait de voir briller dans la pupille des siens, une lueur jumelle de ses flammes menacées par l’éteignoir.

De cette empêchement provisoire, de cette frustration, Frédéric a gardé un air de bataille au fond des yeux. Ses couleurs, dopées à l’énergie, comme ses sujets sélectionnés sans cesse avec une gourmandise quasi-rabelaisienne proclament au moins une victoire criante : l’harmonie contre-nature d’un mélange ludique, maîtrisé, où les règnes joyeusement se confondent, de l’animal au végétal en piochant dans l’humain.

A travers son kaléidoscope-sorcier, Vignale regardait le monde et le monde explosa pour se recomposer aussitôt, toute beauté reconquise ou réinventée.

Photographie : Thierry Théolier dit THTH

Photographie : Thierry Théolier dit THTH