Saïd Djabelkhir, journaliste et chercheur algérien en soufisme : Les Soufis, gardiens de notre patrimoine et de notre mémoire

Saïd Djabelkhir, journaliste et chercheur algérien en soufisme : Les Soufis, gardiens de notre patrimoine et de notre mémoire

La problématique du Soufisme en général et son influence sur la pensée, la société et la politique au Maghreb en particulier, constitue une thématique majeure pour les chercheurs spécialistes de la pensée et civilisation islamique. Les soufis, considérés dans l’imaginaire collectif comme étant des gens qui ont renoncés au monde pour se consacrer uniquement à Dieu et à ses voies cachées, ont en effet, de tout temps, nourri les réflexions les plus fantaisistes et les discours les plus fantasmagoriques.

Cependant, la contribution des soufis à la pensée universelle et leur goût pour les œuvres sociales et l’éducation morale amène les chercheurs à considérer le soufisme comme une pratique spirituelle rigoureuse qui a acquis, avec ses différentes orientations, d’importants degrés d’influence sur la culture de la société musulmane.
 ce titre, Saïd Djabelkhir, journaliste et l’un des chercheurs algériens les plus connus par leurs travaux portant sur le soufisme, souligne d’emblée « qu’on ne peut parler du soufisme sans mettre en exergue trois dimensions importantes, principales composantes. La première est celle de la loyauté et de la pureté du disciple. La deuxième est l’ouverture vers les autres marquée par l’esprit de tolérance. La troisième est la dimension artistique. »

L’incontournable dimension artistique

Ainsi, c’est cette dimension artistique et son impact sur la culture populaire algérienne qui constitue le plus important apport du soufisme selon notre interlocuteur.

 ce sujet, il faut dire que pour Saïd Djabelkhir, « le soufisme est d’autant plus incontournable par sa dimension artistique, et non pas seulement par sa philosophie, qui a profondément marqué la culture populaire algérienne grâce à des confréries et ce dès la fin du règne des Omeyyades. Il faut savoir que les confréries avaient une très grande influence sur le point religieux, social et artistique car il avait réussi à s’impliquer fortement dans la structuration de la société », explique également le chercheur.

De ce fait, selon notre interlocuteur, le premier apport se situe au niveau du langage et du vocabulaire usité. Ainsi, à partir du lexique soufi, le patrimoine oral algérien s’est enrichi de plusieurs proverbes, expressions et adages dont le champ lexical puise ses racines dans le soufisme. Â titre d’exemple, Saïd Djabelkhir cite plusieurs expressions du terroir qui comportent des vocables tels que « hall », « diwan », « hadra », « legnawiya » et « lila ».

Dans le même contexte, il nous rappelle que le phénomène des « bouqualat » ou du « fell » est intimement lié à l’influence du soufisme sur la culture populaire orale. Abordant la problématique des chants soufis, il nous explique aussi que « le chant est un des éléments fondateurs de la dimension artistique. Les conflits qui entourent cette problématique de la légitimité du chant dans les confréries ont commencé, en Algérie, avec le colonialisme et l’avènement du courant salafiste en Algérie ».
Afin d’illustrer son argumentaire, il cite l’exemple de grands érudits qui étaient virtuoses et qui ont marqué l’histoire de la poésie chantée algérienne à l’instar de Sidi Boumediene, Ibn Hamidouche, El Wencharis et le mufti Ahmed Ben Amar.

Force est dès lors de constater que la poésie populaire algérienne a été fortement imprégnée de textes soufis, qui ont été plus tard la base des textes du chaâbi, à l’instar de Ben M’Saïb et de Sidi Lakhdar Ben Klouf.

Signalons par ailleurs que Saïd Djabelkhir a déjà trois études à son actif qui ont été publiées sur Internet et dans plusieurs prestigieux journaux à l’instar El Kods El Arabi et Ilef et repris ainsi pas des dizaines de sites amateurs et spécialistes dans le domaine, à l’image du site britannique Jadal spécialiste dans le domaine de la pensée islamique contemporaine et soufie entre autres.

Talebs et meddahs : ancêtres des poètes et des chanteurs

 titre d’exemple, la première étude réalisée par S. Djabelkhir s’intitule : « soufisme et culture populaire en Algérie ». Elle porte donc sur l’histoire du soufisme et de sa relation avec la culture populaire, la poésie et la musique notamment, en Algérie. Notre chercheur explique dans cette étude, à travers de nombreux textes, que les poètes populaires en Algérie sont tous passés à un moment ou à un autre de leur vie par l’enseignement soufi et ce à travers les zaouïas ou medersas. « En plus le phénomène du Meddah est lui aussi en étroite relation avec la zaouïa », note à ce propos le chercheur.

Sur un autre chapitre, pour S. Djabelkhir, une dualité ancienne entre les « talebs » et les « meddahs » est à relever aussi. Il a cité notamment sur ce point le proverbe populaire : « El taleb ida jah yerdjaa meddah ». Ainsi, les meddahs sont à l’origine issus des confréries soufies. Â l’origine, ce sont des étudiants en théologie qui, dans certains cas, ont plus d’aptitudes artistiques et, de ce fait, sont orientés vers le medh.
Toutefois, le chercheur précise que cela n’enlève en rien à leur valeur. En effet, les meddahs étaient soumis à certaines règles telles que celle de ne chanter qu’après avoir effectué la prière du icha et les ablutions avant d’entamer le medh. De même, si le meddah est sollicité pour animer des soirées de particuliers, il ne doit jamais accepter de l’argent, mais peut, en revanche, accepter des victuailles. C’est ainsi, souligne S. Djabelkhir, qu’au fil des siècles, le medh s’est développé pour donner naissance à de nouveaux courants musicaux.

D’autre part, S. Djabelkhir démontre également dans cette étude que tout ce que nous avons comme patrimoine chaâbi provient du Meddah donc de la Zaouïa et par conséquent du Soufisme. « Même le patrimoine Andalou, El Andaloussi, n’aurait pas pu nous parvenir comme nous l’avons aujourd’hui s’il n avait pas été en partie ou en entier préservé pas les Confréries Soufies (Ettourouk Essoufia) après la chute de Grenade et la fin du règne Arabo-berbère en Espagne en 1492 », affirme-t-il.

« D’autres confréries soufies ont aussi procédé à cette récupération. Ils ont récupéré toutes les mélodies qu’ils ont marié par la suite à des textes soufis si bien qu’on retrouve maintenant des textes ou Mouachahates, Azdjal ou encore Zoudjoul qui n’ont pas de mélodies dans le patrimoine andalou (Snaa d’Alger, Gharnati de Tlemcen et Malouf de Constantine). Ces mélodies, on ne les trouve que dans le patrimoine soufi des Aissaouas ou des Meddahine (Kessadine) et ce dans les différentes Zaouïas telle que la Zaouïa de Sidi Abderrahmane à Alger.
N’omettons pas de souligner que Saïd Djabelkhir traite également dans cette étude des Janissaires d’Alger dont les sources idéologiques et culturelles relèvent aussi selon le chercheur du soufisme et plus précisément de la confrérie des Bektâchî (Tarika Bectachia) du nom de son fondateur El Hadj Mohamed Bectach qui est un grand Saint Soufi ou Waliyy turc d origine persane. L’étude des textes militaires chantés par les janissaires d’Alger montre justement « leur très profond attachement au soufisme notamment à l’enseignement de la Tarika Bectachia dont le fondateur est lui-même le stratège pédagogique de toute l’armée des Janissaires Turcs depuis sa création », décret S. Djabelkhir.

Le soufi et l’intellectuel

Notre chercheur prépare actuellement la sortie de son prochain livre, Soufisme et Création, lecture critique dans les textes de Hamza Qenawy, qui sera publié simultanément en Égypte et en Algérie (Editions Barzakh). Dans cet opus, Saïd Djabelkhir fait d’abord un premier chapitre pour essayer de définir le soufisme et la création afin de montrer la relation qui existe entre les deux. Il nous livre aussi une comparaison par les textes, entre le psychique du Soufi et le psychique du Créateur (poète, musicien, plasticien, romancier, etc.) pour faire ressortir les points de convergence ou de divergence entre les deux.

« Les intellectuels ont toujours été aux côtés des classes les plus pauvres et les plus démunies et les soufis aussi. Les intellectuels ont de tous temps été victimes du despotisme et de la tyrannie, les soufis aussi. Il suffit de citer pour exemple à cet effet les martyrs de Halladj et de Souhraouardi et de Sidi Abdessalam Ibnou Machich et d’autres encore qui ont péri par les Fetouas des Foukahas, ces intellectuels des cours royales, et le sabre des Khoulafas et Sultans musulmans à travers l’histoire. D’un autre côté, les intellectuels ont été à l’origine de nombreuses révoltes et révolutions de par l’histoire. Pour leur part, les soufis aussi n’ont jamais hésite à prendre les armes quand il le fallait. Et je ne veux pour exemple que les nombreux soulèvements des Derkaouas et des Hansalas contre les autorités turques en Algérie. Sans oublier la résistance de l Emir Abdelkader, qui est un grand soufi ne l’oublions pas et un adepte de la Tarika Qadiria, contre l’occupation française et celle de la Charifa Kabyle Lalla Fadhma Nsoumer et le Cherif mohamed dit Boubaghla ainsi que Cheikh El Haddad qui sont tous issus de la Tarika Rahmania. Nous remarquons donc à travers toute
L’histoire arabo-musulmane ce que l’on peut appeler : le phénomène du Soufi Arme. En effet, le soufi prend les armes quand sa patrie ou ses compatriotes sont en danger. Il y a pour cela des centaines d’exemples », assure le chercheur.

On peut également retenir de ce livre qui paraîtra sous peu le chapitre que consacre Saïd Djabelkhir à l’histoire religieuse de la folie dans lequel il fait une lecture préliminaire du sens de la « folie » dans la langue arabe et dans le texte Coranique ainsi que chez les soufis. Il est aussi question de l’évolution du concept de « folie » ou « darwacha » dans l’histoire arabo-musulmane du temps du Prophète (notamment dans la Sounna et les Hadiths) en passant par les « Khoulafa Errachidine » et les « Khalifes » Omeyyades et Abbasides jusqu’à nos jours.

En vérité, S. Djabelkhir montre comment et pourquoi sommes-nous arrivés à traiter les soufis ou les mystiques « Ezzouhhad » de « derviches » ou de « fous » et pour quels intérêts.
Il est à signaler enfin que Saïd Djabelkhir s’appuie dans ses analyses sur les textes du jeune poète égyptien Hamza Qenawy qui fait objet ainsi de corpus d’étude pour le chercheur algérien.

Bio Express :

Saïd Djabelkhir est natif de Boufarik. Après avoir obtenu sa licence de Philosophie et de sciences islamiques à l’université d’Alger, il enseigne pendant 10 ans la langue Arabe et la philosophie dans un lycée. Journaliste collaborateur à El Khabar et au « parcours maghrébin », il prend ensuite en charge la rubrique culturelle dans des quotidiens arabophones : El-Fadjr, Djazair News et enfin Echourouk. Présentateur et chroniqueur à la Chaine I pendant 4 ans, Saïd Djabelkhir est aujourd’hui journaliste au quotidien émirati : El-Khalidj.