Interview du plasticien Renaud VINCENT-ROUX

Interview du plasticien Renaud VINCENT-ROUX

Dans l’idée de se souvenir, à la fin de sa vie, des jolies choses, je me suis perdu au milieu d’une exposition. Celle de Renaud Vincent Roux, artiste aux éclairs compulsifs, aux signes extérieurs de coulure. Les tableaux de RVR sont des arbres qui cachent ses fêlures. Son œuvre sur « Le Discours des Mouches » éclairera sans doute les indicateurs à merde que sont les critiques de l’art contemporain car il y a chez lui cet aspect anti-commercial qui investit le temple et qui plait dans les salons des mécènes. Mais ses mouches sont surtout des moyens de locomotions vers la fureur, une sorte de revival de la guerre des nerfs, agressif et doux à la fois. Un arrêt sur image, difficile à faire passer au niveau de la gorge, en attendant un avenir radieux…

Qui es-tu Renaud Vincent-Roux ?

Renaud Vincent-Roux : « Je suis un plasticien marseillais. Vivant à Marseille, travaillant à Marseille, dans un atelier de Marseille et donc forcement je peints Marseille, aux couleurs de Marseille. J’ai vraiment un profond attachement à cette ville. »

Le fait que Michel Guerin soit présent à ton exposition, que ce philosophe déclare que ça en était fini de la vérité de la nature ou de celle de la beauté, te conforte t’il dans ton sujet ?

Renaud Vincent-Roux : « Oui. Parce que c’est quelqu’un que j’ai écouté pendant longtemps sur les bancs de la fac, en étant admiratif, en étant émerveillé de le voir solutionner aussi simplement des problèmes complexes. Ces différences entre agir et faire et imiter et copier. Donc oui je suis ravis de savoir qu’il s’intéresse à mon travail. Je vois à quel point il s’intéresse à des choses précises, des choses délicates et nuancées. Je suis ravi de le voir poser son œil et peut être des mots sur mon boulot. »


Peux-tu me parler de ce lieu « le Passage de l’Art » où tu exposes ?

Renaud Vincent-Roux : « C’est la manifestation « L’art renouvelle le Lycée » qui est organisée par le passage de l’art qui propose un panel d’artiste de la région pour intervenir dans des lieux de l’éducation nationale. On m’a proposé l’année dernière d’y participer avec un thème qui était « La Main ». J’ai été retenu par le Lycée de l’Estaque. J’ai fais un portrait de foule de 16m² traitant de la main, de ce que pouvait être pour moi la main : c’est-à-dire la différence entre l’homme et l’animal, leur différenciation. Cette manifestation s’est déroulée en avril-mai, et fin juin, Madame Lyse Madar m’a proposé une carte blanche dans sa galerie pendant un mois. J’ai considéré cet espace comme un passage, non pas comme un but en soit mais passer par là. Essayer de faire un état des lieux de ma création. Du coup c’est le « Discours des Mouches » car en ce moment ma peinture parle de ça. Savoir ce qui se dit entre l’interstice de la peinture et du support. Les mouches ne cessent de se déplacer entre le fond de la toile et le spectateur. Je me questionne sur ce motif, sur l’articulation entre la figure et le fond. Mes pseudos réponses plastiques sont exposées dans cette galerie. »

La caractéristique première d’une mouche c’est sa liberté de mouvement ?

Renaud Vincent-Roux : « J’ai été habité par la mouche pendant ma création. J’ai cristallisé cette idée de mouche par Sartre qui expliquait que la mouche était la cristallisation du remord, du repentis et du regret. Finalement ne suis-je pas en train de regretter que la peinture se doive d’être intelligente. Me suis-je moi-même imposé ça. La peinture doit elle poser ou répondre à une question ? C’est le nœud du problème. Au delà du motif qui est le prétexte à peindre que dire du sujet. »


La mouche fut considérée pendant longtemps comme un porteur de maladie, te sens tu transmetteur de virus à travers tes toiles ?

Renaud Vincent-Roux : « Je ne sais pas, suis-je capable de transmettre ce virus de regarder une image pour se questionner sur le comment. Le but de ma peinture c’est cette idée de « faire » parler d’une fabrication. En regardant mes toiles je ne vois pas l’animal « mouche » mais une peinture… on est déjà dans une utopie, une illusion. »

Cette exposition semble t’avoir aliéné tout en te libérant par ailleurs ?

Renaud Vincent-Roux : « Elle m’a aliéné parce que je me trouve finalement, non pas pris au piège, mais je me rend comptes avec ça qu’une peinture libre n’existe peut être pas. Maintenant que j’ai terminé je me pose cette question de l’après. Que vais-je pouvoir faire dorénavant ? Une série de chaise, une série de poissons ou de pommes ? Je ne sais pas comment cette exposition va être reçue ! »

C’est important justement ce retour à l’expéditeur ?

Renaud Vincent-Roux : « Ce n’est pas important quand l’on peint. Quand tu peints tu es seul face à tes angoisses, face à ta toile, face à tes capacités, face aux gens que tu aimes. La peinture est une démarche au dessus du narcissisme. C’est au dessus du miroir car c’est l’interieur. Le miroir est un reflet. La peinture c’est toi avec ce double tranchant de c’est toi tout en restant une illusion car l’on reste dans la fabrication de quelque chose. La fabrication est le prolongement de soi. Certains peuvent faire des enfants et moi je sais faire des toiles. »

Y a-t-il le même processus que l’enfantement ?

Renaud Vincent-Roux : « Je pense. Il faudrait demander à quelqu’un qui n’arrive pas à avoir d’enfant en définitive. Il y a peut être un parallèle à faire entre le père qui ne sait pas procréer et le peintre qui n’a pas d’atelier. Il y a le même manque, la même frustration. »

La différence c’est que toi tu abandonnes tes toiles ?

Renaud Vincent-Roux : « Je ne suis pas certains de ça. Elles n’ont pas besoin de moi. L’abandon est une problématique très importante dans ma vie, pas du tout dans mes toiles, je ne suis pas attaché à mes toiles. J’ai peur d’être abandonné ou d’abandonner. Le lien qui me lie à la peinture est tout autre car quoi qu’il arrive je sais pertinemment que je ne le perdrai pas. »

As-tu déjà brûlé ton travail ?

Renaud Vincent-Roux : « Je n’ai jamais détruit. Il y en a que je démonte, que je roule, que je cache. Je retombe parfois dessus. Un romancier de 60 ans qui tombe sur son journal intime de quand il avait 15 ans cela doit être équivalent. Dimanche j’ai rangé mon atelier et je suis par hasard retombé sur certaines de mes œuvres et j’étais totalement démolis. J’ai retrouvé une peinture qui était complètement dénué de toutes théories, de tout enjeux intellectuel qu’exige l’art contemporain. C’est une peinture qui était uniquement basé sur l’affect. Précieuse à l’époque car totalement vrai. »


On dirait que cela te gêne que le discours prenne le pas sur l’œuvre ?

Renaud Vincent-Roux : « Aujourd’hui certains artistes ont l’air d’avoir su se positionner de manière beaucoup plus libre que moi par rapport a ces axes intellectuels de la peinture. J’ai l’impression d’étouffer par rapport à ces enjeux. Ce discours des mouches me permet de casser ça. C’est au milieu des contraintes que je vois ma liberté. En me posant des règles, avec ce seul motif qu’est la mouche, je trouve sûrement un moyen de renouer avec une peinture plus libre qu’avant. J’avais l’impression de me faire bouffer par la théorie. J’ai envie de refaire de la peinture pour la peinture et non pas de la peinture pour l’idée. C’est grâce au travail du motif que j’ai pu me défaire de cette chaîne. Je remercie ces mouches ! »

Tu dévoiles tes recherches sur les murs de la galerie et j’aurais aimé savoir si ce n’était pas comparable à un magicien qui divulgue le truc de son tour de magie ?

Renaud Vincent-Roux : « J’ai pris l’habitude de le faire. Suite à des conseils de professionnels qui trouvent ces images légitimes, bonnes donc accrochables. Je me suis rendu compte que c’était important pour moi que les gens comprennent ce processus créatif la. Faire une toile ce n’est pas le moment ou la toile est enduite et tendue sur son châssis. La toile blanche n’existe pas. C’est le peintre qui va enlever ce qui est contenu dans cette toile blanche pour ne laisser que ce dont il a envie de parler. »


Cela peut être au détriment de la peinture ?

Renaud Vincent-Roux : « Je ne sais pas parce que mettre en face le dessin et la peinture, le dessin se fera toujours bouffer par la peinture car plastiquement il y a un poids de la peinture qui est là par la noblesse de la peinture et du support. On a décrété je ne sais pas quand ni comment qu’une œuvre d’art devait être sur une toile et malheureusement pas sur un papier. C’est con mais un dessin de Picasso vaut le tiers du prix d’une toile. Je pense que c’est important de montrer le processus lent de la création. Montrer ce fourmillement et prouver que tout ce qui va être exposé est déjà contenu dans une planche de recherche. Même un format de 15x15. La recherche est un moment de spontanéité dingue ou en fait il n’y pas d’enjeux théorique. Je recherche des graphismes, des solutions plastiques, des articulations entre le fond et la forme. De là va apparaître des choses dont je vais pouvoir parler sur une toile. En plus 99 % des choses m’auront échappé dans une planche de recherche mais dans tous les cas ce qui m’a échappé peut profiter à d’autres. »

T’appuies-tu sur d’autres champs artistiques pour créer ?

Renaud Vincent-Roux : « La musique de manière indéniable. A la fois par la pratique et par l’écoute. Evidement de la musique baroque donc… mais c’est tout : je n’ai pas l’habitude de travailler sur photos, sur vidéos ou modèles vivants. Je pense que faire de la peinture c’est accepter de donner vie à une image mentale. J’essaye juste de montrer ce qui se passe dans « ma » tête, pas dans un appareil photo ou une caméra. »

Le discours des mouches ne serait-il pas le silence de l’artiste ?

Renaud Vincent-Roux : « Il y a toujours cette protection de « je ne veux pas vous dire qui je suis », ça n’existe pas pourtant un peintre qui ne se peint pas lui-même. Tu veux simplement peindre une fleur et tu finis toujours pas y déposer une partie de ta gueule. Tout est autoportrait. J’aurais peut être du mal à me transformer en mouche mais elles évoquent ce qui s’est passé dans ma vie cet été. »

Que répondrais-tu à ceux qui déclareraient que ta peinture ne fait qu’enculer les mouches ?

Renaud Vincent-Roux : « Simplement que là où il y a des mouches il y a des hommes ! »

Du 02 Octobre au 9 novembre au Passage de l’art Lycée du Rempart - 1 rue du Rempart - 13007 Marseille Tèl : 04 91 31 04 08
passagedelart@freesurf.fr

Mardi de 9h à 18h
Mercredi : 9h à 17h
Jeudi 9h à 18h, sur rendez-vous

Renaud VINCENT-ROUX

Atelier :
279, rue d’Endoume
13007 Marseille
06 11 69 66 07
renaud.vincent@voila.fr