Bush a trop vu la télé

Alors que Libération, dans son dossier sur le retour de 24H top chrono du samedi 20 septembre, pouvait expliquer que les fictions françaises étaient loin du réalisme et des prises de risque des fictions américaines, ces dernières mettant en scène, en jeu et en joue tout à la fois les univers politiques, judiciaires et leurs dérives ou collusions économico-mafieuses, reste à comprendre aussi en quel sens, le nationalisme patriotique populaire se structure à travers ce type de fictions. En effet, loin de tomber dans une telle apologie du réalisme fictionnel, comme semble le faire Libération, il semble nécessaire d’interroger le fond idéologique qui se trame par derrière.

Rafaël Garrigos, dans le Libération de samedi 20 septembre, signait un article s’intitulant : « La France frileuse ». Ceci afin de marquer la différence entre les fictions télévisuelles américaines et les séries télévisées françaises. Certes, il y a une réelle différence. Toutefois, est-on certain que cela soit aussi tranché au niveau idéologique. En effet, est-on bien sûr que les fictions états-uniennes travaillent indépendamment du pouvoir politique, pouvant mettre en scène n’importe quelle réalité, pouvant ainsi montrer à quel point tout - au niveau fictif - est possiblement réaliste, et laissé libre pour une réelle critique ?

Non, et pour ce faire, je compte revenir ici sur l’écho entre l’idéologie patriotique américaine, qui est étrangère en grande partie à la France depuis la fin de la IVème République et ceci dans l’horizon des nationalismes européens du milieu du siècle, et sa construction des scénarios au niveau du cinéma et de la série.

Christophe Fiat, suite au 11 septembre montrait poétiquement dans son livre New-York 2001 (ed. Al Dante), que les Etats-Unis au niveau de la représentation pouvait être analysés selon une philosophie anticipant cette catastrophe et reposant sur une critique de l’image au sens où « 1 - (…) le cinéma hollywoodien est un cinéma qui tourne et retourne un même film fondamental qui est un film de david wark griffith qui s’appelle the bird of nation », « 2 - (…) le cinéma hollywoodien a en commun avec le cinéma soviétique de croire à une finalité de l’histoire universelle qui est l’histoire de l’éclosion de la nation américaine pour les américains (…) ». Cinéma impliquant dans la fiction, grâce à une mise en abîme généralisée, non seulement l’unité patriotique autour du président, mais une réelle téléologie géostratégique de son hégémonie mondiale, notamment et surtout depuis la seconde guerre mondiale.

Quelques exemples en guise de délassement : The Patriot, avec l’inénarrable Mel Gibson, sorte d’acteur télé-évangéliste quasi-antisémite. Ce film raconte la rupture des colons continentaux avec la vieille Angleterre. D’un côté, les futurs états-uniens, opprimés, de l’autre, des Lord anglais, tous plus abjects les uns que les autres. D’un côté la force du juste, qui selon la loi du Talion biblique (qui reste dans sa constitution sous le principe du 4ème amendement) et de l’autre les très très méchants anglais, de rouge rosbif vêtus qui font le mal gratuitement, qui tous plus laids les uns que les autres, devront payer pour que se forge la liberté de la patrie américaine. Air Force One, sorte de film à haute altitude, où d’un coup le président, incarné par Harrisson Ford, est pris en otage par de très méchant terroriste, et qui va à lui seul retourné la situation. Indépendance Day, même scénario mais cette fois-ci, c’est la maison blanche qui est prise en otage par des E.T, robustes et monstrueux, une nouvelle fois ce sont les Etats-Unis qui sauvent le reste de la planète. Plus récemment, toujours d’un point de vue absurde, En territoire ennemi, avec la grande gueule de Gene Hackman : guerre du Kossovo, les américains, héros sans peur et sans reproche, plus juste que Job, découvrent à eux seuls, et ceci parce qu’ils désobéissent aux recommandations de l’OTAN, les charniers et vengent à eux seuls, montrant au passage l’inefficacité des forces internationales incarnées par la France, tous les kossovars qui ont perdu leur famille dans les charniers….

La liste serait longue, du Western, aux films de guerre, des films d’espionnage anti-soviétiques, aux fictions politiques. Car c’est bien un mythe qui est sous-jacent, dans cette construction des scénarios. C’est bien une institution imaginaire de la société, pour reprendre ici un titre de Castoriadis, mais une institution imaginaire qui ne vaut pas seulement en tant que représentation servant à homogénéiser la société d’un point de vue intérieur, mais qui sert aussi de propagande du point de vue de l’obtention et de la conservation de la domination mondiale au niveau de la représentation manichéenne du bien et du mal. C’est ainsi qu’il ne faut pas oublier que des termes aussi symboliques que « axe du bien » et « axe du mal » proviennent de la bouche de leur président, bien élevé pour sûr au biberon de leur monde cinématographique.

Ainsi, certes, il y a un écart entre les fictions françaises et américaines, mais cet écart ne se pose pas seulement dans une frilosité vis-à-vis du politique, mais aussi quant au fait que les fictions françaises se détournent en grande partie de la construction du mythe de la France politique et ne sert pas de propagande à l’identité présidentielle.
Il n’y a alors qu’à voir le contre-investissement symbolique par des cinémas d’auteur : tel par exemple Tim Burton et son fabuleux Mars attacks. Non seulement ce film reprend et critique Independance Day, mais surtout il met en crise l’ensemble du mythe américain par son dénouement. N’oublions pas que la terre est sauvée par l’histoire mythique des Etats-Unis, histoire qui a sa naissance dans le bon vieux rock. Pied de nez, à ce pays sans histoire longue, à l’histoire récente et à la fois frustrante pour lui ; Tim Burton, montre en quel sens face au mal, ce à quoi se réfèrent les états-uniens est cette époque de la pleine naissance de l’american way of life… On comprend sa difficulté à sa sortie aux Etats-Unis et l’incompréhension qui l’accompagna.

Les Etats-Unis et Hollywood ne font pas alors des films pour réfléchir à leur actualité, pour interroger justement le fonds mythique qui les constitue, mais tout à l’inverse pour le renforcer, pour poursuivre sa structuration identitaire et de plus en plus nationaliste et intolérant face au reste du monde (il est bien évident qu’il reste fort heureusement un cinéma indépendant).