Putain d’usine, la BD

Putain d'usine, la BD

Après le livre, les adaptations théâtrales et le film, voici la BD. Putain d’usine, le livre de Jean-Pierre Levaray, a trouvé une nouvelle déclinaison dans les belles planches d’Efix.

Putain d’usine a fait un sacré bout de chemin depuis sa sortie, en janvier 2002, aux éditions L’Insomniaque. Salué par la critique, vendu à plus de 10 000 exemplaires, décliné en pièces et en lectures théâtrales, le court récit incisif a été le fil rouge et noir d’un film documentaire éponyme de Rémy Ricordeau et d’Alain Pitten.

Réédité chez Agone, Putain d’usine est à présent devenu une BD grâce à une putain de rencontre entre Jean-Pierre Levaray et Efix, l’auteur de Mon amie la Poof.
Tous les chapitres du livre prennent corps. Ne travaillez jamais !, Dire non, La nuit, L’apéro, La mort, La grève, Lâcher tout ?... Tous et plus comme cette nouvelle déjantée empruntée à Classe fantôme (édité aux éditions Le Reflet), Caterpillar, qui devient Le Chouleur.

Efix a quitté provisoirement les jolies filles pulpeuses pour croquer les prolos, le travail de nuit, l’ennui… Pour sa documentation, l’artiste avait demandé des photos de l’usine Grande Paroisse de Grand Quevilly, mais il a aussi fait appel à sa mémoire. Ayant lui-même bossé comme intérimaire dans une boîte pourrie, Efix a connu l’enfer du travail salarié. « Je ne suis pas resté longtemps à l’usine, mais c’est gravé à jamais », explique-t-il. Lui a osé partir… Jean-Pierre y bosse comme ouvrier de fabrication depuis trente ans.

Après quelques mois de mûrissement, une première mouture est sortie en couleurs. Grand format. Luxueux. « C’était joli, mais peut-être un peu trop. Cela faisait presque penser à la plaquette commerciale qu’auraient pu commander les dirigeants des usines où ces histoires se passent. Il fallait trouver autre chose », soutient Efix.

Finalement, le format s’est rapproché de celui des comics qu’affectionne Jean-Pierre (également amateur de Jacques Tardi et de Marjane Satrapi). Les couleurs ont laissé la place au noir et au blanc. Manière d’illustrer le manichéisme des scènes où les personnages broient souvent du noir.

Fusain, craie, crayon, encre ont noirci des tonnes de ramettes avant de trouver le ton juste. Jean-Pierre Levaray a été soufflé par l’énergie dépensée par Efix qui, une fois lancé, réalisait au moins une planche par jour. Un vrai travail de galérien pour quelqu’un qui serait a priori allergique... au travail.

Les lecteurs, ouvriers ou non, apprécieront ce que la patte et l’humour d’Efix apportent à un story-board bien sombre. Chaque chapitre de Putain d’usine fonctionnant pratiquement comme une nouvelle, le découpage permettait de mêler plusieurs univers. Divers styles et techniques, associant parfois photos et dessins enfantins, se croisent ainsi au fil des pages pour servir une histoire où l’humain et l’inhumain se confondent tragiquement.

Du point de vue graphique, la BD Putain d’usine est une réussite totale. En prime, elle sert des sujets très rarement traités en bande dessinée, la lutte des classes et l’envie de pulvériser le capitalisme meurtrier. À lire le poing levé, l’esprit pointé vers un futur égalitaire et libertaire...

Efix et Jean-Pierre Levaray, Putain d’usine, éditions Petit à Petit, 144 pages N&B. 12,90 euros.