Luc Besson, ou le paradigme de la censure culturelle capitaliste

Noam Chomsky dans son dernier livre, La Fabrique de l’opinion publique, traitant de la manipulation médiatique en rapport au pouvoir politique des Etats-Unis, met en évidence parfaitement le fonctionnement du contrôle des possibilités critiques au sein des démocraties libérales. Ainsi, alors que les démocraties s’évertuent à lutter contre les Etats totalitaires ou les Etats religieux - notamment et surtout islamiques - au sens où la liberté d’expression ne serait pas possible, Chomsky d’emblée explique que loin d’être un lieu de liberté médiatique, les démocraties libérales par la collusion entre politique, économique, et possibilité d’accession à la visibilité, développe des systèmes d’uniformisation/restriction de la parole, de l’information, de la critique.

C’est ainsi qu’il peut écrire en rapport à ces démocraties qui sollicitent la libre entreprise : « il est bien plus ardu de détecter la présence d’un système ou d’un modèle de propagande dans le cas des médias privés, en l’absence de censure officielle, et c’est encore plus vrai quand les médias se font une active concurrence (…). Ce qui est loin d’être évident (et peu discuté par les médias), c’est la nature limitée de telles critiques, autant que la criantee inégalité qui régit l’accès aux ressources ; cela se répercute autant sur l’accès aux systèmes médiatiques privés que sur leurs comportements et leurs performances ».

En effet, comme cela est apparu déjà en France avec l’affaire Jourde face au Monde des Livres et Sollers, la censure ne s’exerce pas en définitive seulement par le seul pouvoir politique, revendiquant le monopole de l’information, mais selon des enjeux économiques, amenant que si un organe de presse est assez influent, il peut court-circuiter toute critique d’une manière a priori, imposant par sa puissance économico-médiatique son propre credo.

Dernier avatar de ce système l’affaire Brazil/Besson.
Besson, comme le rappelait Hervé Deplasse dans « Comment Besson m’a tuer mon cinéma » publié dans le numéro 4 de Brazil, est en effet le pur produit du jeu des influences médiatiques, et de l’appropriation de la visibilité populaire. Car, comment comprendre que lui, ce cinéaste en effet sans grand talent au niveau de ses films, jouant sur les clichés les plus éculés de l’imaginaire narratif et filmique, ait pu obtenir une telle visibilité, si ce n’est en surfant sur la reproduction du modèle américain du montage et de l’intrigue, modèle, qui il faut le souligner, semble être l’un des seul à pouvoir être promu par les médias généraux (télévisuels et press-people), ne cherchant aucunement à découvrir, mais seulement à être caisse de résonance des modes outre-atlantique ? « Le cinéma de Besson » comme l’analyse parfaitement l’article de Hervé Deplasse, « fonctionne comme un pur produit marketing et ne tient compte à aucun moment des règles qui régissent ce qu’on appelait autrefois le septième art ».

Besson, ainsi, n’est pas qu’un mauvais cinéaste, mais c’est aussi ce producteur, pouvant nous déverser la médiocrité des TAXI (sous-produit limite série télévisée américaine), ou encore des Yamakasi, film invraisemblable, sans queue ni tête, moins bien filmé et interprété que n’importe quelle sitcom de ce monde qui tourne en rond.

Et pourtant, ayant su surfer dès les années 80 sur sa popularité, après le médiocre Subway puis l’affligeant Grand bleu, films pour lectrice de 20 ans ou Jeune et Jolie, il a peu à peu réussi à s’approprier les médias et façonner son image de vrai cinéaste au point d’obtenir - faut-il en rire ???? - la présidence du Festival de Cannes de 2000, l’un des lieux de défense du cinéma d’auteurs.

C’est ainsi que le Besson nouveau, cheveux décolorés, et ventre repus (va-t-il m’attaquer en diffamation ? il a intérêt de faire du sport avant !) , non content d’avoir atteint sa popularité genre Prime-time, veut maintenant cadenasser toute possibilité de critique vis-à-vis de lui, et dans cette logique, le très bon magazine indépendant Brazil.
La faute commise par Brazil ? simple : avoir publié une chronique précise et bien étayée d’Hervé Deplasse, qui après une longue dissection des emprunts et des synopsis des films de notre Besson international, s’est posé la question de savoir, si le cinéma ne lui permettait pas d’obtenir les jeunes femmes qui lui seraient impossibles d’obtenir au vue de son physique ingrat. Merde, on ne le niera pas : il est pas beau. Merde, on ne le niera pas non plus, il a quand même sacrément tendance à flirter ou être en couple avec les actrices qu’il fait tourner !

Le prétexte de la diffamation sur ses frasques sexuels, est bien évidemment creux. Ce qu’il ne supporte pas c’est tout simplement, qu’un magazine qui touche véritablement les passionnés de cinéma, et donc qui peut s’inscrire dans le temps et construire une réelle généalogie d’analyse (car en effet certains de ce magazine proviennent déjà de Starfix comme l’explique Christophe Goffette à Frédéric Vignale lors d’un e-terview reprenant cette affaire), puisse ainsi le brocarder, remette en cause son aura, et émette l’hypothèse que derrière son regard de chien battu, il y a l’étincelle d’un assassin du cinéma français d’auteur.

Or portant ainsi plainte, Besson, point dupe des rouages économiques propres à la survie des petits magazines, demande 50 000 EUROS de dommage et intérêt, de quoi assassiner toute trésorie de structure de faible ampleur. Pas la sienne pour sûr. Dès lors, nous le percevons, non content de dupliquer les techniques marketing et médiatiques au niveau de la commercialisation de son cinéma, il en vient à reproduire la même logique que celle mise en évidence par Chomsky aux Etats-Unis, et qui peu à peu tend à se généraliser en Europe (cf. le modèle Murdoch en Angleterre par exemple).

Espérons alors, que cette affaire ne fera pas juris prudens, et que sa plainte sera déboutée.

E-terview de Christophe Goffette par Frédéric Vignale

Article « Besson m’a tuer mon cinéma » d’Hervé Deplasse

E-terview de Christophe Goffette par Frédéric Vignale

Article « Besson m’a tuer mon cinéma » d’Hervé Deplasse