Du parti des Myosotis

Du parti des Myosotis

Chroniqueur avisé du monde ouvrier, Jean-Pierre Levaray vient de publier un nouveau titre aux éditions L’Insomniaque. Du parti des Myosotis nous offre des pages très intimes et très touchantes sur la mort de Marceau Levaray, son père.

Jean-Pierre Levaray, c’est l’auteur de Putain d’usine, Après la catastrophe, Plan social, Tranches de chagrin (aux éditions L’Insomniaque), de Journal d’un prolo et Des Nuits en bleu (aux éditions Libertaires) où sont esquissées des silhouettes de collègues de travail, d’amis, de militants syndicaux.
Dans Du parti des Myosotis, le porte-parole des sans-voix dresse le portrait d’une personne qui appartient aussi à la « France d’en bas », son père.

Depuis plusieurs années, Levaray envisageait d’écrire sur son père. Un projet difficile à mener pour diverses raisons. D’une, Marceau était un « taiseux » comme il en existe un certain nombre en pays de Caux. Ensuite, Marceau a tout fait pour que sa vie soit simple, lisse. « Il n’est pas ce qui donnerait matière à un roman russe ou américain », indique Jean-Pierre. Enfin, la maladie de Parkinson et les attaques d’érésipèle qui épuisèrent Marceau à la fin de sa vie contrarièrent les projets du fils écrivain.

C’est finalement dans des circonstances tragiques que le livre a surgi. En 2006, souffrant de l’estomac, Marceau Levaray fut admis en urgence à l’hôpital de Rouen. Il y succombera le 8 avril, à 6h30, suite à une hémorragie interne. La famille Levaray était au chevet du mourant. Jean-Pierre, déboussolé, veillera au milieu des siens. « Quand ce film va-t-il finir ? Ce qui se passe est impossible. La lumière va se rallumer et je vais quitter la salle. Je vais retrouver la vraie vie. Je vais même raconter ce que j’ai vu à mon père. Comment se peut-il que cette scène, où il est en train de mourir, soit réelle ? » note-t-il peu avant d’entendre le dernier soupir du malade.

Les minutes sont des siècles dans ces moments-là. Le temps s’affole. Le passé se mêle au présent. Les images se télescopent. On revit dans le désordre des instants vécus plus ou moins sublimés. L’écho d’anciennes discussions plus ou moins déformées se fait entendre. Des pensées, des impressions enfouies refont surface.

Pris dans ce tourbillon éprouvant, Jean-Pierre Levaray mêle l’évocation de faits anciens aux lignes douloureuses qui relatent l’agonie de son père. En ne faisant confiance qu’à ses maigres souvenirs, l’auteur a écrit une biographie sommaire de Marceau. « Ces quelques anecdotes ne disent pas la complexité de sa personne. C’était surtout l’occasion d’être en sa compagnie ou, plutôt, qu’il soit encore à mes côtés. Plus profondément sans doute que lorsqu’il était vivant. Paradoxalement, son absence me le rend plus présent. Maintenant que mon père n’est plus là, c’est comme s’il était constamment dans ma tête », explique le fils qui fait tout ce qu’il peut pour maintenir son père en vie.

Vivant, Marceau le restera dans la mémoire de celles et ceux qui liront Du parti des Myosotis. Même sans l’avoir connu, nous nous souviendrons de son moment de bravoure quand il s’est opposé à un régiment allemand en déroute qui venait de lui voler sa jument, puis quand il est parti à pied, de Sausseuzemare jusqu’aux rives de la Seine, sur les traces des mêmes Allemands qui périront sous les bombes de l’aviation anglaise. Une centaine de cadavres flottaient sur le fleuve. Dans une odeur suffocante, des cadavres éventrés d’hommes et de chevaux émergeaient des masses informes calcinées. Mais aucune trace de la jument aimée.

Jean-Pierre s’accroche à une frêle guirlande de souvenirs qui nous émeut. La petite ferme en bois fabriquée par Marceau comme cadeau de Noël, Le Corbeau et le Renard récité en cauchois dans un repas familial, le cérémonial de la fabrication du cidre chez les anciens paysans devenus prolos citadins, Marceau tuant les lapins en les frappant du tranchant de la main derrière la tête, Marceau livrant du charbon pour améliorer l’ordinaire, Marceau manœuvrant un train d’ammoniac ou d’engrais dans l’usine chimique de son fils en actionnant le klaxon de la traction pour le saluer...
« Nous sortons un peu sonnés de la lecture de ce petit livre, car il nous fait vertigineusement entrevoir l’existence de ceux qui ne défrayent jamais la chronique, ceux auxquels ne s’intéresse aucun romancier, aucun cinéaste, aucun journaliste ou chroniqueur », souligne la romancière Nancy Huston dans la préface.

Pour accompagner l’ancien cheminot au crématorium de Rouen, la famille avait choisi trois disques. Tant de belles choses de Françoise Hardy, La Ballade irlandaise de Bourvil et Le Vieux Léon de Brassens.

« L’un comme l’autre

Au gré des flots

Furent emportés,

Mais aucun d’eux

N’a fait fi de

Son temps jadis.

Tous sont restés

Du parti des

Myosotis. »

Du Parti des Myosotis est à présent un beau chant d’adieu, le chant d’amour d’un fils désemparé à son père.

Jean-Pierre Levaray, Du Parti des Myosotis, éditions L’Insomniaque, 66 pages. 6 euros.

Infos et commandes : insomniaqueediteur@free.fr